Breakfast avec Constellation de la Rouguière
Entretien avec Dania Reymond-Boughenou, réalisatrice de Constellation de la Rouguière
Comment vous est venue l’envie de réaliser un film sur la Rouguière ?
Ce quartier de Marseille est né dans un contexte très précis : en 62 au moment de la libération de l’Algérie. La Rouguière recevait alors comme premiers habitants les rapatriés de la guerre. Plusieurs vagues d’immigration ont succédé dont de nombreux travailleurs immigrés algériens. Étant moi-même métisse et marseillaise, je voulais interroger la mémoire de cette Histoire à partir de ce lieu.
Comment avez-vous choisi les témoins que l’on voit dans le film ?
Je suis allée à la rencontre des habitants et certains ont souhaité raconter leur arrivée et leur vie dans ce quartier mais ils ne voulaient pas être filmés. On les entend donc seulement. Les personnes que l’on voit sont des comédiens qui ont pris le relais des habitants tout en s’appuyant sur leurs témoignages. Et puis j’ai ressenti très vite la nécessité de la fiction pour explorer une forme de mémoire plus profonde. On a donc travaillé sur les émotions et les mémoires transgénérationnelles dans un atelier de constellation familiale organisé spécialement en amont de l’écriture. La question des morts et des blessures s’est enrichie au cours de cet atelier. Le statut du témoin est aussi devenu plus complexe puisque les acteurs et moi-même étions aussi habités par une mémoire que nous avions en partage avec les habitants de la cité : celle de l’Histoire franco-algérienne. Le travail d’écriture a consisté à associer ces différents registres.
Comment avez-vous travaillé sur les temps de silence et les images d’illustration qui accompagnent les témoignages ?
Par l’intuition que la mémoire du quartier ne pouvait pas être évoquée sans prendre en compte la présence et l’histoire des morts. Il fallait faire de la place à l’écoute du monde invisible.
À quel point êtes-vous intéressée par la question des blessures que chacun porte en soi ? Envisagez-vous de réaliser d’autres films mettant en lumière cette caractéristique de notre humanité ?
Je ne me pose pas la question directement de cette manière mais je crois, peut-être naïvement, à la fonction réparatrice du cinéma. En tous les cas les questions de cinéma qui m’intéressent, naissent souvent dans une béance du sens. Mon prochain projet s’intéresse aussi à une histoire traumatique. Mais j’espère qu’un jour je réaliserai une vraie comédie !
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la séquence du fantôme ?
Il y en a plusieurs dans le film et ce qui m’intéressait c’était de manifester leur présence, de leur faire une place, de les entendre, de les regarder. La question des fantômes est d’ailleurs souvent politique au cinéma. Le fantôme c’est celui qu’on ne veut pas voir. Pourquoi ?
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquée ?
Je vous salue, Sarajevo de Jean-Luc Godard.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Je dirais que tous les moyens sont bons mais que de manière absolue, un bon film nous permet de traverser la mort tout en sauvegardant l’espérance.
Pour voir Constellation de la Rouguière, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F7.