Goûter avec Des voisins dans ma cour
Entretien avec Eli Jean Tahchi, réalisateur de Des voisins dans ma cour
Que pouvez-vous nous dire sur ce mur qui sépare Mont-Royal, l’un des quartiers les plus riches de Montréal, de Parc-Extension, un quartier où vivent les immigrants et les plus pauvres ?
Depuis 1960, une clôture faite de maillons de chaîne et de poteaux d’acier le long du boulevard de l’Acadie – deux mètres de haut, 1,6 km de long avec une « haie appropriée » – sépare la ville de Mont-Royal, l’un des quartiers les plus riches de Montréal, de Parc-Extension, un quartier à faible revenu bondé de nouveaux Canadiens. Suite à la demande des habitants de la ville de Mont-Royal, inquiets pour la sécurité de leurs enfants, la ville a érigé cette clôture, qui a déclenché rapidement la colère du côté vivant à l’ombre de ce mur. Les résidents la voyaient comme une barrière de classe, un terrible symbole politique et une structure construite par les riches pour les empêcher d’entrer. Mais personne n’a réussi jusqu’ici à la déraciner.
Vous avez choisi d’utiliser le split-screen pour ce film, c’est-à-dire que l’écran est divisé en deux images. Quelques mots sur le choix de ce dispositif ?
Bien que cette clôture ne représente pas la totalité de l’île de Montréal, elle reste un indice plus ou moins visible qu’au milieu d’un tel monde, on pointe souvent du doigt une famille d’immigrants en difficulté, enfermée dans un combat pour sa survie, et on l’exclut. Cependant dans ce film, je voulais éviter de condamner ou de justifier ces deux lieux et leurs habitants, et ne pas tomber dans une division facile immigrants versus société d’accueil. Le split screen s’est avéré être le choix le plus audacieux au service d’une approche expérientielle comparative pour montrer les différences urbaines, architecturales, sociales et démographiques des deux lieux dans le but de susciter un dialogue sur les problèmes d’inégalités et de droits, de manière constructive et pacifique.
Votre œuvre se consacre à la question des marges, à ce qui nous sépare les uns des autres : hiérarchie sociale, urbanisme, rejet des différences sexuelles ou de culture. Le documentaire a-t-il le pouvoir de faire tomber ces barrières ?
Partisan d’un septième art engagé, je cherche toujours à travers mes films à diffuser et protéger les histoires des minorités culturelles et sexuelles et je crois que les films ont le pouvoir d’apporter des changements sociaux. Quand j’ai commencé à faire des films, surtout des documentaires, j’ai senti le devoir d’utiliser mon médium comme un pouvoir. Le pouvoir d’ébranler des certitudes en mettant en lumière des phénomènes culturels qui m’interpellent. Cela dit, je ne prétends pas faire des films en détenant la vérité. J’ai envie de créer un dialogue entre le documentaire et les spectateurs, pour les inviter à se mettre à la place d’un personnage pendant dix minutes ou deux heures, en voyant la vie à travers leurs yeux. À travers ces invitations, je souhaite apporter un changement dans le monde qui m’entoure.
Vous êtes un habitué des festivals de courts métrages. Qu’est-ce que les festivals ont apporté à votre carrière de réalisateur ?
Les festivals de cinéma font partie de l’écosystème de chaque réalisateur, scénariste, producteur ou même artiste travaillant dans ce domaine. Les festivals m’ont permis de façonner ma vision, de rencontrer d’autres cinéastes, de partager nos expériences et d’apprendre les uns des autres. C’est toujours une belle opportunité de présenter sa création à un public, d’en parler, de regarder d’autres films et de trouver inspiration, clarté et validation pour pouvoir continuer à créer.
Quel est votre court métrage de référence ?
C’est vraiment difficile de choisir un court métrage parmi tant d’œuvres inspirantes. Mais s’il le fallait, le court métrage libanais Warsha de Dania Bdeir est une très bonne référence.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
Le festival de Clermont-Ferrand est un festival de courts métrages très acclamé et très sélectif et je me sens honoré de faire partie de l’édition de cette année. Cette sélection a non seulement donné une reconnaissance à mon film mais m’aidera certainement dans ma carrière de cinéaste.
Pour voir Des voisins dans ma cour, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I7.