Dîner avec Harta (Marre)
Entretien avec Júlia de Paz Solvas, réalisatrice de Harta (Marre)
Comment est né Harta ?
Harta est venu comme une réponse à la violence infligée tous les jours aux femmes, et au manque de représentation sociale, culturelle, politique et judiciaire des filles et fils dont cette violence constitue l’environnement. Notre but est de donner une voix à ces personnes qui n’en ont pas pour le moment, parce qu’elles sont rendues invisibles par les infos dont nous bombardent les médias, au point de faire de l’inacceptable une nouvelle norme.
Votre film traite des violences domestiques. Raconter cette histoire du point de vue de l’enfant, c’est important dans la société d’aujourd’hui ?
La violence de genre (plutôt que domestique) est tellement présente dans nos vies quotidiennes qu’il est devenu strictement nécessaire de l’étudier et d’en discuter. Chaque jour nous entendons parler de femmes qui sont maltraitées, ou même tuées par leurs compagnons ou ex-compagnons. Harta essaie de rendre le problème visible, car d’autres victimes de cette violence systématique sont souvent laissées de côté : les enfants de ces femmes. S’il n’y a pas de violence physique ou sexuelle, ceux-ci ne sont pas considérés comme des victimes de la violence. Limiter la violence à ces paramètres, c’est la légitimer. La violence a de multiples strates et peut prendre de nombreuses formes. Il est nécessaire de permettre à ces enfants de s’exprimer si nous voulons nous confronter à la violence dans toute sa complexité.
Anna Caponnetto porte brillamment le film sur ses épaules. Comment s’est passé le travail avec elle, vous êtes-vous personnellement impliquée dans sa prestation ?
Anna c’est la plus belle perle du film. À seulement douze ans, elle montre d’inimaginables capacités d’empathie et d’intelligence émotionnelle. On a travaillé sur le personnage des mois avant le tournage. On vivait ensemble, à répéter les scènes, à parler du personnage, à tenir un journal jusqu’au dernier jour avant le tournage… Le plus important pour elle, c’était de comprendre le personnage, savoir d’où viennent la colère et le chaos qui caractérisent Carmela. Pendant le tournage on a beaucoup travaillé en improvisation, car l’implication des comédien·ne·s dans le processus créatif était fondamental. Je n’ai pas demandé à Anna ce qu’elle était censée ressentir, je l’ai simplement guidée là où je voulais que son personnage aille, sans trop théoriser, en restant en prise directe avec son propre caractère, dans le respect et dans l’écoute. Anna a beaucoup de choses à faire passer dans Harta et c’était important de lui laisser l’espace et la sécurité qui lui permettraient de la faire à travers le personnage de Carmela.
Qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous dans la création de Harta ?
Ce que j’ai trouvé le plus difficile, c’était de créer le personnage du père. Pour diriger le film il faut toujours se garder de juger le personnage. Il faut le comprendre et comprendre le pourquoi de ses actions. Si je juge le personnage, je tombe dans le cliché, et ça me fait peur, parce qu’il est nécessaire de sortir du stéréotype du père abusif pour montrer que la violence a bien plus de niveaux que ceux que l’on nous a déjà montrés.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquée ?
Wasp, d’Andrea Arnold. Dans ce court métrage j’ai trouvé quel genre de cinéma je voulais faire. Plus tard, son film Fish tank m’a confortée dans cette idée.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Pour moi, la qualité d’un film provient du respect : pas seulement le respect pour ce qu’il décrit, mais aussi dans la manière dont il le fait. Au bout du compte, si un film est né d’une intention pure et claire, ça se verra dans le résultat final.