Lunch avec Le Boug Doug
Entretien avec Théo Jollet, réalisateur de Le Boug Doug
Pourquoi vouliez-vous jouer avec le rapport à l’interdit : vol, trafic, manipulation… ?
L’idée première du personnage de Doug, née de discussions avec mes collaborateurs de toujours Martin Maire et Thomas Trichet (avec qui je forme le trio JTM), était d’envisager un jeune homme, voyou par d’insignifiant larcins, en se concentrant sur ses problèmes, ses relations, ses amitiés et sur sa personnalité plus que sur la dramaturgie de ses actions. Le rapport au vol et à l’interdit est donc né de ce désir de proposer une figure nouvelle du voyoutisme (bien qu’inspiré de personnages tels que Tony de la trilogie Pusher), délocalisé de Paris et caractérisé par les outils de notre génération (réseaux sociaux, memes internet, rap etc). Le rap est apparu ensuite comme une évidence dans l’univers de Doug, dans le sens où ses acteurs ont un rapport fort à l’auto-fiction et « l’égotrip », en mettant notamment en avant des agissements illicites. Ces histoires de voyous, parfois bien réelles, quasi-documentaires, parfois totalement inventées, témoignent d’une ambiguïté autour de la véritable sensibilité de ces figures, mettant en lumière leurs mensonges et leurs peurs, qu’ils tentent de masquer derrière cette mythologie.
À quel point êtes-vous intéressé par l’énergie et les ambitions des jeunes décrits dans Le Boug doug et envisagez-vous de réaliser d’autres films avec des personnages jeunes ?
L’énergie de ces jeunes, qu’ils soient artistes ou non, est le cœur même du projet. La motivation originale qui était la nôtre était de mettre en avant leur ingéniosité, leur humour et leur verve, qu’elle se manifeste par les textes des chansons et leur argot, par leurs improvisations mais également par des scènes inspirées de memes internet témoignant d’une communauté plus large. Il est donc certain que nous re-travaillerons avec ces mêmes jeunes et même de nouveaux. Les castings du Boug doug ont été effectués via des connaissances mais également par le biais des réseaux sociaux. Ces jeunes ne sont pas comédiens pour la plupart mais c’est ce genre de vérité et de spontanéité que nous recherchons à chaque projet.
Pourquoi vouliez-vous situer les personnages dans un univers rural ?
Étant originaire de Tours et de ses environs, j’ai grandi dans de petits villages autour de la ville, entre campagne et espaces industriels. J’ai également pratiqué le football en club pendant près de 15 ans. J’ai donc évolué dans le même genre de lieux que ceux dépeints dans le film. Évidemment, le projet possède une dimension onirique et mystique qui exacerbe les décors, mais à mes inspirations internet et musicales s’ajoutent les souvenirs de ces groupes de jeunes dont je faisais partie gravitant autour du stade municipal de ma commune et de ces quelques rodéos en MBK, ou bien de la buvette où l’assemblée se donnait rendez-vous après match pour y boire quelques coups. L’idée derrière ce film, mais également derrière beaucoup d’autres projets que j’ai pu mener avec Thomas et Martin, est de parler de ces lieux chers à notre cœur et de leurs personnages souvent étonnants mais peu représentés, tout en leur insufflant la dimension onirique que nous apprécions aborder dans nos histoires. Cette dimension mystique est d’ailleurs loin d’être absente de ces paysages, où les contes vernaculaires sont une inspiration majeure pour nous et feront l’objet d’un projet futur.
Comment avez-vous travaillé sur la bande son ?
Le processus de création sonore a été le fruit d’une collaboration très libre et organique. OGRask m’a tout d’abord envoyé une batterie d’échantillons musicaux. Ces échantillons ont été revus par les artistes qui ont pu écrire leurs textes sur les morceaux retenus. J’ai tout d’abord voulu, à la manière d’une pure comédie musicale, les pousser à rendre leurs paroles au maximum en accord avec l’histoire, mais je me suis très vite rendu compte qu’une absolue liberté était le compromis que je devais faire pour conserver l’énergie que je souhaitais avoir à l’image. Une fois les morceaux enregistrés, nous avons toujours cherché, avec l’ingénieur du son Paul Kusnierek, à conserver un équilibre entre son direct et son live afin de pouvoir véritablement inscrire la musique dans l’histoire. Toutes les ambiances ont donc été utilisées pour filtrer la musique, en enregistrant via la réverbération de l’immense salle des fêtes pour la scène « bleue » par exemple, ou en passant les morceaux enregistrés par l’autoradio lors des scènes de voiture. A cet aspect musical s’ajoute un travail de prise son sur place et modulation des ambiances (par exemple des ambiances de nuit sur des scènes de jour) afin de donner au film le ton recherché.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Lors de mon entrée à L’ENSAD de Paris, nous avions visionné le court métrage de Baptiste Penetticobra Entertainment Capital Of The World et je me souviens avoir été profondément marqué par l’originalité du dispositif. En effet, j’avais du mal à imaginer pouvoir boucler une dramaturgie complexe dans un temps court, et ce film m’a montré à l’époque qu’il y avait d’autre possibilités d’expressions excitantes sur ce format pour véhiculer mes idées (le faux-documentaire, l’interview, le reenactment etc.). Quelques mois plus tard, Baptiste était à la recherche d’un assistant sur son prochain film et j’ai pu donc apprendre beaucoup de ce que je sais aujourd’hui à ses côtés.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Selon moi, un bon film tient en premier lieu à l’honnêteté de son auteur. Pour moi il n’y a rien de mieux qu’un projet où chaque recoin dénote du désir de ce dernier, de ses aspirations, de ses obsessions et de pourquoi pas de son histoire. Lorsque je vais voir un film, j’aime être bousculé par la personnalité d’un auteur au point de finir par adhérer à des univers par lesquels j’aurais pu être moins attiré dans un premier temps. C’est pour moi un véritable tour de force. L’écriture est également un aspect essentiel pour moi. Qu’elle se manifeste par le jeu, l’improvisation, l’énergie ou par un texte minutieusement versé, le choix du langage est primordial. En termes de référence, je suis un très grand fan du travail des frères Cohen, et c’est également parce qu’ils arrivent à réunir tous les aspects que je cite précédemment en atteignant une forme d’universalité que leurs films ont pour moi quelque chose d’absolu.
Pour voir Le Boug Doug, rendez-vous aux séances de la compétition labo L5.