Goûter avec L’homme silencieux
Entretien avec Nyima Cartier, réalisatrice de L’homme silencieux
Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter l’histoire de Vincent Blanchot ? Son personnage est-il basé sur une personne réelle ?
Il y a quelques années j’ai lu la nouvelle de Melville Bartleby. Elle se passe dans le Wall Street de 1850 et raconte l’histoire de Bartleby, un comptable qui, du jour au lendemain, s’arrête de travailler et répond à toutes les questions de son patron par « je ne préfèrerai pas ». Dans le livre il y a une intrigue et des personnages secondaires, mais j’ai été surtout fascinée par ce personnage qui s’absente tout en restant là, sans explication, sans rien dire, quelqu’un qui soudain, s’arrête au milieu de la foule. J’ai trouvé que c’était une image incroyablement contemporaine. J’ai eu envie d’en faire une adaptation très libre, de ne reprendre que cette figure de Bartleby qui est à la fois très mystérieux, et très ordinaire. Je l’ai appelé « Vincent Blanchot » justement parce que c’est un nom qui évoque monsieur-tout-le-monde.
Pourquoi avoir choisi ce titre pour le film ?
Le film est finalement assez éloigné de la nouvelle, et je n’avais pas envie de forcer la référence en l’appelant pareil. L’homme silencieux est un titre à l’image de Vincent Blanchot, il pose question ; on se demande pourquoi il est silencieux, ce qu’il veut… C’est un personnage-énigme. J’aime aussi le côté « conte » de ce titre, qui donne au film quelque chose d’intemporel.
Pourquoi avez-vous décidé de filmer ce personnage de haut, comme vu par une caméra de surveillance ?
Le film épouse le point de vue d’un collègue qui regarde par la fenêtre de son bureau, et se demande pourquoi Vincent Blanchot reste là. C’est une situation très commune, de regarder les passants par la fenêtre, et de se demander pendant un instant ce que fait tel type, à quoi il pense etc. La différence, c’est qu’habituellement on retourne vite à nos occupations. Pierre, au contraire, ne détourne pas le regard. Cet effet « caméra de surveillance » vient aussi du fait que le collègue regarde depuis le haut d’une tour. La Défense est un endroit vertical, qui pousse les gens d’en haut à regarder ceux d’en bas. Un peu comme des spectateurs qui, depuis le balcon d’un théâtre, regardent la pièce se dérouler en bas.
Parlez-nous un peu du choix de la bande son.
Il y a deux ans j’ai réalisé des fictions audio pour la radio, et j’ai été émerveillée par tout ce que je pouvais faire avec le son ! La fiction audio a fait apparaître plein de nouvelles questions de mise-en-scène passionnantes, comment caractériser des personnages par la voix, le décor par le bruitage, comment faire des ellipses etc. C’est après cette expérience que j’ai eu envie de faire un film où le son porterait toute la narration, où presque tout serait hors champ. Nous avons donc tourné les images sans le son, et avons enregistré les acteurs dans un deuxième temps, presque comme à la radio.
Qu’espérez-vous comme réactions de la part du public ?
Comme les cinémas sont fermés depuis que nous avons fini le film, nous n’avons pas pu faire de projection, alors celle de Clermont sera une vraie première ! J’ai très hâte d’avoir des retours, de savoir ce que les gens en pensent, ce que ça leur évoque.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Le court métrage est essentiel pour les auteurs, parce qu’il permet de tenter des choses, des audaces, de rencontrer des équipes, c’est une vraie école de cinéma. Aussi, la forme courte permet une certaine radicalité. C’est le cas de mon film, qui ne pourrait pas exister en long métrage. Je pense aussi qu’il y a un public qui aime ça, les gens qui aiment les romans peuvent aussi aimer les nouvelles !
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous ?
J’espère surtout que les salles vont réouvrir bientôt, on a tous besoin d’être ensemble dans le noir et d’aller voir des films ou des pièces ! Sinon, j’ai lu un livre magnifique cette année qui s’appelle Croire au fauve, de Nastassja Martin.
Pour voir L’homme silencieux, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6.