Lunch avec Saint Jean-Baptiste
Entretien avec Jean-Baptiste Alazard, réalisateur de Saint Jean-Baptiste
De quelle région viennent les images du film ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les fêtes locales ?
Le film est composé de deux « sources » d’images. Il y a les plans que j’ai filmés moi-même, issus d’une sorte de journal que je tiens depuis une dizaine d’années ou bien de rushes oubliés. Ces plans, je peux dire que je les ai principalement filmés dans les montagnes de l’Occitanie. Mais il y aussi des plans que j’ai empruntés à des films qui font partis de l’histoire du cinéma et qui viennent de toutes les régions du monde et de toutes les époques. C’est une manière d’inscrire ce que j’ai filmé dans la continuité d’une vie païenne qui a majoritairement structuré l’humanité depuis dix mille ans. Soit quelque chose de bien plus intemporel que la manière de vivre imposée par les sociétés industrielles ou post industrielles modernes, qui pourtant cherchent à nous faire croire qu’il n’y a pas d’autres manières de vivre. Les fêtes locales, quand elles n’ont pas perdu leur âme, qu’elles n’ont pas été récupérés par un folklore passéiste qui se donne en spectacle pour les touristes, sont l’expression même de la subversion, du lâcher-prise, du purgatoire des passions. Elles témoignent du vivre ensemble qui lie une communauté dans sa spiritualité. Ce ne sont pas des fêtes où il y a d’un côté des personnes organisatrices et de l’autre des personnes consommatrices. C’est l’implication de tout le monde qui détermine le visage de la fête.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport aux mythes et aux textes de la religion chrétienne ?
Je voulais mettre en avant la dimension révolutionnaire présente dans les textes et les mythes fondateurs chrétiens, alors que ceux-ci ont été récupérés par le pouvoir catholique et politique pour en faire un dogme fondé sur la culpabilité et la peur d’être au monde. Et ainsi, mieux soumettre les peuples au lieu de les laisser s’émanciper.
Dans quel contexte avaient été tournées les images de moutons que vous avez utilisées ?
Ce sont des images que j’ai trouvées dans des films de fiction : un film d’Andrea Arnold, plusieurs films de Sergueï Paradjanov et un autre qui reste à deviner.
À quel point êtes-vous intéressé par le principe de rites de passage, marquant les transitions importantes de la vie ou le temps qui passe ?
Je crois que quelqu’un a dit que les rituels permettent de transformer les émotions en actes. De fabriquer du concret. C’est un peu ça qui m’intéresse. De participer à des célébrations qui ne sont pas artificielles, qui sont ancrées dans le temps cyclique des saisons par exemple, et qui souvent impliquent toutes les tranches d’âge d’une population. Lors des fêtes calendaires comme carnaval ou la Saint-Jean, chacun mesure le chemin parcouru dans sa vie depuis la précédente et se projette vers la suivante. L’ivresse n’est pas un but en soi mais un moyen pour atteindre quelque chose de spirituel, qui nous permet de faire un point avec notre place dans le monde. De remettre tout ce qu’on vit en perspective, d’avoir la sensation de vivre des fêtes comme les Grecs ou les dogons pouvaient les vivre, et ainsi de me sentir connecté avec les peuples anciens.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Pendant la réalisation de ce film, j’ai beaucoup pensé à La Rage de Pasolini, où j’y ai vu que pour nuire à la bêtise d’une fin de civilisation qui ne jure que par l’argent, peut-être faut-il lorgner vers un devenir paysan. Dans le film, Pasolini dit : « La tradition, c’est la grandeur qui peut s’exprimer en un geste. Mille ancêtres ont vu ce geste, et à travers les siècles il est devenu pur comme le mouvement d’un oiseau. Mais seule la révolution sauve le passé. » Il est beaucoup question de cela dans les images de Saint Jean-Baptiste, de se battre pour continuer à affiner ces gestes, refuser de s’en faire déposséder. Donner une autre définition à la modernité.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Il ne faut surtout pas lésiner avec l’huile d’olive.
Pour voir Saint Jean-Baptiste, rendez-vous aux séances de la compétition labo L3.