Breakfast avec Useless Opera Singers (D’inutiles chanteurs d’opéra)
Entretien avec Pablo Serret de Ena, réalisateur de Useless Opera Singers (D’inutiles chanteurs d’opéra)
Vous sentez-vous proche du mouvement de l’absurde ?
Pas vraiment, ou du moins pas consciemment. Ce qui m’intéresse en général, c’est quand différents sens rentrent en conflit, ou bien quand ceux-ci émergent de la confrontation de sujets apparemment très différents. Dans le film tout est relié selon une logique sous-jacente. Même si elle peut sembler difficile à voir, elle existe au moins dans ma tête. L’absurde à mon avis découle plus du paradoxe, de la dissonance inhérente à notre présence sur terre. Cela, en soi, c’est vraiment poétique.
Avez-vous une expérience du genre documentaire ? Qu’est-ce qui vous a donné envie d’utiliser cette approche pour Useless Opera Singers ?
C’est mon premier court métrage, je n’ai donc pas d’autre connaissance de ce genre à part cette expérience-même. J’ai peut-être aussi un peu appris de ma pratique artistique antérieure. Généralement, j’apprends en le faisant. D’ailleurs, Useless Opera Singers n’était pas du tout censé être un film. Il n’y avait pas de scénario écrit d’avance, de programme ou d’équipe de tournage. Bien sûr, j’ai embarqué dans un bateau avec une caméra, je me suis retrouvé à filmer et j’avais en tête quelques scènes, mais la démarche finale ne m’est venue qu’à mon retour, au cours du montage. J’aime à penser que mon film est à mi-chemin entre le documentaire et le réalisme magique.
Dans quel contexte avez-vous tourné les séquences en Arctique et sur le bateau ?
Les images ont été tournées pour l’essentiel en immersion dans le programme de résidence et d’expédition du Cercle Arctique. C’est un rassemblement d’artistes multi-disciplines, de scientifiques, d’activistes, qui explorent l’archipel du Svalbard et l’océan Arctique à bord d’un voilier trois-mâts goélette spécialement équipé, à peu près à dix degrés au large du pôle Nord. C’est clairement une des expériences les plus pleines de sens de ma vie, un rêve réalisé qui continue à résonner profondément en moi.
Comment avez-vous réalisé la musique et le paysage sonore ?
En montant le film, je me suis vite rendu compte que le son et la musique devraient coller parfaitement au film terminé, et je pense qu’à la fin c’est ce qui s’est passé. L’Arctique a un son, un silence particulier, qu’il est difficile de décrire et de traduire. Le film est en fait le portrait d’une grande solitude, le fond sonore et la musique y jouent donc presque le rôle d’un compagnon, comme d’un autre personnage en soi. Et comme la plupart des autres tâches étaient à ma charge, c’était également rafraîchissant de bénéficier de points de vue extérieurs en travaillant avec des amis de toujours comme Guillermo Farré (musique originale) et Gustav Niepoort (design sonore).
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Pas seulement un, mais beaucoup de courts. J’ai un souvenir très vif de la première fois que j’ai vu quelques courts de Werner Herzog sur un DVD d’un coffret de compilation. Je ne savais rien de lui, mais je me suis senti immédiatement en phase avec son travail, sa vision et sa façon de voir la vie. Pour moi c’était le mélange génialissime d’un artiste, d’un explorateur, et d’un homme libre. C’est un sentiment qui a transcendé ses films et qui m’habite encore aujourd’hui. Également, pendant que j’écrivais le film, j’ai découvert 66 Scenes of America de Jørgen Leth, qui m’a appris beaucoup sur la manière de créer un portrait, une ambiance, à partir d’un assemblage apparemment aléatoire de prises de vue.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Quelque chose qui m’émeut en dedans.
Pour voir Useless Opera Singers(D’inutiles chanteurs d’opéra), rendez-vous aux séances de la compétition labo L1.