Dîner avec Farrucas
Entretien avec Ian de la Rosa, réalisateur de Farrucas
Qu’est-ce qui vous intéresse dans la vie de la communauté maroco-espagnole en Espagne ?
J’en ai toujours été proche, parce que l’endroit où j’ai grandi, dans le sud de l’Espagne, était une voie d’accès pour la communauté migrante, notamment d’Afrique du nord. Je me suis aussi beaucoup intéressé au passé andalousien, et je lisais des auteurs comme Antonio Manuel. J’étais donc capable de puiser dans ce que je sens comme mes racines. Le mélange andalousien comporte le Marocain, le gitan, le noir et le castillan, et ce mélange et à l’origine d’une grande partie de la culture espagnole actuelle, dans la langue, dans le folklore, et aussi dans la musique. Tout cela m’intéressait, et quelque chose s’est déclenché dès la première fois où j’ai visité El Puche, le quartier où vivent les protagonistes du film et notre lieu de tournage.
Qu’est-ce qui vous a amené à porter votre attention sur ce groupe d’adolescentes, sur leurs espoirs et leurs craintes ?
Hadoum, l’une des plus importantes, était la première personne que j’ai rencontrée à El Puche. Puis, à travers une association qui travaille dans le secteur, j’ai rencontré les autres. J’étais fasciné par la manière dont elles se comprenaient les uns les autres, l’amour qu’elles se portaient, et par la force avec laquelle elles envisageaient leurs vies. Leur façon de vivre la musique, de la reproduire avec leurs corps, a aussi capté mon attention, je m’en suis senti très proche. Que le film raconte leurs peurs et leurs aspirations est venu de soi-même au cours de l’écriture, parce que ce qu’on voulait, c’est qu’elles soient elles-mêmes devant la caméra. Pour moi, c’est la magie des Farrucas : sentir qu’on fait partie du groupe, passer une après-midi décisive avec elles, avoir cette sensation d’entrer comme une petite souris dans leur réalité.
Farrucas peut se targuer d’un groupe de grandes comédiennes. Comment les avez-vous choisies, et pouvez-vous décrire la manière dont vous avez travaillé ensemble ?
On a beaucoup répété. Elles savaient ce qui allait se passer pour chaque scène, et elles avaient lu le scénario, mais sans l’apprendre : ça leur donnait la liberté de dire et d’exprimer ce que nous voulions, mais avec les mots et à la manière qui leur plaisaient. Farrucas a eu deux tournages, avec deux scénarios. Ce qu’on voit sur l’écran correspond à la deuxième tentative, vu qu’on n’a rien gardé de la première. Sur l’instant, ça nous a semblé un constat d’échec de tout remettre en branle une seconde fois, mais comme le temps passait on s’est rendu compte que ça a été décisif. Le premier tournage a servi pour elles à mieux se connaître, à tâter le terrain, et pour l’équipe et moi, à comprendre sur quelle voie s’engager.
J’ai trouvé les scènes où tout le monde danse et chante très fortes. Pourquoi vouliez-vous montrer cet aspect spécifique de leur mode de vie et de leur culture ?
J’aime la musique aussi, et j’écoute beaucoup de flamenco. Cette façon de se comprendre les uns les autres à travers la musique, c’est une chose qu’ils ont intégrée à leur vie. Sous n’importe quelle forme, l’expression artistique quotidienne peut nous sauver la vie tous les jours. Ça nous donne de la force et de l’entrain. Ça nous aide à continuer, à surmonter les épreuves de nos vies. Je pense que c’est ce qui est à l’origine de mon intérêt pour leurs chansons et leurs danses. Dans l’expression artistique, tout est mélangé, et les frontières, qui pèsent sur notre conscience dans d’autres domaines, disparaissent. Ils vivent ce mélange d’une manière naturelle, organique : être capable de le montrer faisait donc partie de mes objectifs.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Quand je suis allé voir au cinéma Latcho Drom de Tony Gatlif, je me suis mis à pleurer pendant les quelques premières minutes du film, quand un enfant chante a cappella en traversant le désert à pieds. Bien d’autres films m’ont marqué le long de ma vie, et il y en aura d’autres, mais ça doit être celui-ci qui m’a fait la plus forte impression.
Qu’est-ce qu’un bon film, selon vous ?
Celui qui me transforme.
Pour voir Farrucas, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I11.