Breakfast avec Grand Paris Express
Entretien avec Martin Jauvat, réalisateur de Grand Paris Express
Qu’est-ce qu’il y avait d’intéressant avec le fait de tourner sur des chantiers du Grand Paris express ?
J’habite à Chelles, en Seine-et-Marne (77), où d’énormes chantiers ont colonisé la ville depuis plusieurs années. Pareil sur le chemin du RER E, qui me transporte à peu près tous les jours jusqu’à Paris : les chantiers se multiplient, les villes se transforment perpétuellement le long des lignes de chemin de fer. Peu à peu, le chantier est devenu un décor hyper banal et en même temps, je trouvais qu’il finissait par donner une couleur un peu « science-fiction » à tous ces paysages monotones. Je me suis mis à fantasmer sur ce qu’ils risquaient de trouver, derrière les palissades, aux mystères que pouvaient révéler les profondeurs de la banlieue parisienne – d’où l’idée d’écrire une sorte d’Indiana Jones banlieusard. Et puis ce que vend le projet du Grand Paris Express, cette espèce de rapidité futuriste, de fluidité et d’immédiateté sublimes, c’est aussi complètement de la science-fiction de mon point de vue. Même leurs pubs, y a un côté dystopique que je trouve assez drôle quand je le compare à mon quotidien de mec du 77 qui passe en moyenne 2 à 3h par jour dans les transports en commun.
Comment avez-vous élaboré autour de la thématique des premiers émois amoureux dans ce film ?
Assez simplement, j’ai vécu, plus jeune, un chagrin d’amour très compliqué plus ou moins similaire à celui de Leslie dans le film : une fille dont j’étais très amoureux m’a quitté pour partir poursuivre ses études à l’autre bout du monde, tandis que moi je restais chez moi, dans le 77, à fumer des joints et à rien branler de mes journées. Le décalage entre nos deux chemins de vie était vertigineux, et je me suis mis à me sentir comme prisonnier de ma banlieue pavillonnaire. Les premiers émois amoureux dans ce film sont aussi le reflet d’une errance affective, d’émotions déboussolées dans un quotidien qui tourne en rond.
Quel est votre genre cinématographique préféré ? Êtes-vous sensible aux expressions artistiques du surréalisme et/ou du fantastique ?
Je n’ai pas vraiment de genre cinématographique préféré, bien sûr j’aime beaucoup les comédies, mais j’adore aussi la science-fiction, les films d’aventure, de baston… etc. Je suis fan d’Apichatpong Weerasethakul, par exemple, et de 21 Jump Street. En tout cas j’aime beaucoup le fantastique, et dans une moindre mesure le surréalisme, quand il permet de créer une faille dans la réalité, d’ouvrir la possibilité d’un mystère dans le tissu du réel.
À quel point êtes-vous intéressé par la question du cheminement à l’intérieur du film, ce parcours libre qui mène de découverte en découverte ?
Pour moi, cette espèce de liberté infinie dont jouissent les personnages du film est un peu à l’image du scénario lui-même. J’aime me dire, quand j’écris quelque chose, que tout peut partir dans n’importe quelle direction, à n’importe quel moment – par une rencontre, un dialogue, une image, n’importe quoi. J’aime la sérendipité, je trouve que c’est ce qui donne du goût à la fois à la vie et au cinéma, et quand je regarde un film, mon désir principal c’est qu’on me surprenne, qu’on m’emmène là où je ne m’attendais pas à me retrouver. Dans Grand Paris Express, ce cheminement est à la fois une forme d’ouverture maximale au présent, à tout le hasard que peut offrir la vie, et puis, en même temps, une errance résultant d’une forme d’ennui presque désespérée.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Un court métrage qui m’a marqué ? Easter Eggs de Nicolas Keppens. Je l’ai vu par hasard au festival Séquence Court-Métrage de Toulouse et j’ai halluciné. Je trouve ça beau, mystérieux, super drôle. J’adore l’ambiance, et cet univers d’ennui entre mecs me parle à mort. Gros big up à Arte et Hélène Vayssières de l’avoir diffusé en France. Je suis complètement fan, hâte de voir la suite !
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Je me demande souvent, et je crois que mon avis sur la question change assez régulièrement. Je crois qu’au fond, j’aime avant tout qu’un film me surprenne. Mais en ce moment, et c’est peut-être aussi dû au moment qu’on est en train de vivre, j’ai l’impression que le plus important pour moi, c’est que je me sente bien dans un film. Qu’il me procure des sensations agréables, que je m’y plaise. Alors quand quelqu’un me dit qu’il a regardé plusieurs fois un de mes films parce qu’il trouve agréable de se replonger dans son univers, de revivre les sensations qu’il lui a apportées, je suis super heureux.
Pour voir Grand Paris Express, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.