Goûter avec Happiness Is a Journey
Entretien avec Ivete Lucas et Patrick Bresnan, coréalisateurs de Happiness Is a Journey
D’où vous est venue l’idée de filmer des travailleurs d’un centre de distribution de presse ?
Avant, notre bureau était situé dans les presses du quotidien l’Austin American-Statesman. On faisait du montage jusque tard la nuit et les travailleurs du journal prenaient leurs postes vers onze heures du soir. Bear, le personnage principal du film, était le premier à arriver chaque soir. Chaque jour on passait devant des poubelles remplies du papier de la veille. Il arrivait sur le parking vers huit heures du soir et dormait quelques heures dans sa voiture avant d’aller faire la queue pour attendre l’arrivée des journaux. La journée, je commençais à photographier les signes du déclin de la presse et nous sommes peu à peu devenus amis avec Bear, car c’est un être éminemment sociable. Il nous a emmenés dans son monde et était enthousiaste à l’idée de le partager avec des artistes.
Pourquoi ce choix d’un montage en écran divisé ?
En tant que média, le cinéma ou la vidéo jouent avec le temps, et la division de l’écran nous a permis d’occuper différents espaces en même temps. Il y a deux parties : le conditionnement des journaux et le trajet pour les livrer. La première a pour sujet l’assimilation de toutes les données, la seconde l’expansion du temps et de l’espace. Tous nos films sont expérimentaux, nous essayons toujours de trouver une façon d’amener le spectateur à la sensation de se trouver quelque part. On fait confiance au public pour se figurer leur propre trajectoire à travers cette expérience.
À quel point teniez-vous à ce que les personnages restent muets ?
C’est un film sur le voyage d’un héros. Quand on évoque le voyage d’un héros, on pourrait s’imaginer quelque chose d’épique, comme une odyssée, mais en vérité, on voit tous les jours des choses qui ont un caractère héroïque sans en prendre conscience. Il y a des personnes pour qui ces voyages arrivent chaque jour. Nous voulons montrer les efforts de ceux qui travaillent dur pour y arriver en ce monde, ces choses-là devraient faire partie du vocabulaire de qu’est censé être l’Américain d’aujourd’hui.
Était-il important de filmer la veille de Noël ?
C’est une soirée l’on imagine que tout le monde est chez soi ou en famille. Quand on fait un film qui se déroule sur une journée précise, il est important de choisir un moment qui ait symboliquement beaucoup de sens pour le public. Il y a aussi un parallèle à faire avec le côté « père Noël » de notre personnage principal.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
On est allé à plein de festivals, et je me laisse toujours surprendre et emballer par des œuvres qui viennent du Portugal. Ces créateurs ont tout compris du surréalisme et de l’artisanat. Notre présence à la Berlinale du court métrage en 2017 a été un grand moment de notre carrière cinématographique, et dans les quatre films portugais du programme je recommande Coup de grâce de Salomé Lamas, une incroyable réalisatrice.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
C’est dur de répondre à ça. La pureté d’une œuvre, c’est important pour nous. Une œuvre qui émane pleinement de l’artiste, quand il prend des risques et s’acharne tout le long du processus créatif à faire le don au public d’un bout de pure authenticité. La douloureuse création d’un monde, qui va nous sortir de la vie de tous les jours et ouvrir la voie à la mise en cause de nos croyances les plus profondes.