Dîner avec Helfer (Aide)
Interview avec Anna Szöllősi, réalisatrice de Helfer (Aide)
Comment décrire la crise que traverse le personnage féminin du film ? Et dans quelle mesure le thérapeute soulage le mal ?
Le personnage de la femme souffre d’angoisses et a une peur panique de la mort. Elle est aussi en proie à des cauchemars récurrents de noyade. Elle voudrait se libérer de cette peur existentielle et demande l’immortalité au thérapeute qui la suit. Ce dernier lui offre une solution, mais non sans conséquences, malheureusement. C’est la question que je désirais placer au cœur du film : dans quelle mesure le thérapeute soulage le mal ? Bien sûr, de son propre point de vue, je crois qu’il essaye de soulager le mal, mais les méthodes dont il fait usage entraînent la femme sur un terrain dangereux.
L’histoire s’appuie-t-elle sur des éléments autobiographiques ? Où avez-vous puisé l’inspiration ?
Oui, le film s’inspire d’une expérience personnelle. Dans ma vie, j’ai toujours souffert d’angoisse. Et il y a eu cette nuit, où j’ai fait le rêve que je mourrais. Le rêve ne mettait pas en scène les circonstances de ma mort, c’était plutôt la sensation de mourir : sentir mes pensées et mes émotions quitter mon corps. Ce fut une expérience particulièrement intense que j’ai gardée en moi très longtemps. Il y a des années, je suis allée voir un thérapeute, avec lequel s’est établi un lien profond, mais un peu bizarre. Ce thérapeute était un homme d’âge mûr, se débattant sans doute lui même avec ses propres conflits existentiels. Notre relation a commencé à prendre une tournure qui pour moi dépassait les limites, sans que ce soit clairement définissable, ce qui était très perturbant. Quand j’ai pris conscience que la thérapie prenait une voie qui ne soulageait en rien mon état, mais au contraire l’aggravait, nous nous sommes dits au-revoir. Des années durant, suite à cette expérience, j’ai vécu avec un extrême sentiment d’échec et de désorientation. J’avais du mal à m’en départir, alors j’ai décidé d’y faire face avec le moyen que je connaissais le mieux : en faisant un film à partir de ça.
Pourquoi avoir choisi de traiter le sujet de manière abstraite et symbolique ?
Faire ce film s’inscrivait dans une démarche thérapeutique, par laquelle je tentais de comprendre la situation et mes émotions autant que possible. En utilisant le symbolisme, j’ai choisi de raconter cette histoire de mon point de vue, tout en préservant la liberté de conserver une certaine discrétion puisqu’il s’agissait d’un sujet éminemment personnel. C’est avant tout le sentiment de désorientation que je cherchais à véhiculer, et à recréer en racontant cette histoire de manière abstraite. Il était aussi important pour moi que les spectateurs puissent se faire leur propre idée selon leur interprétation.
Parlez-nous de votre style d’animation.
Le film utilise la technique de la rotoscopie. J’ai tourné les images de référence avec des acteurs, pour servir de base et les animer ensuite image par image. Le choix de cette technique s’explique par la nécessité de donner une dimension humaine réelle aux personnages de cette histoire tout en utilisant les possibilités qu’offre l’animation, qui me permettait de les placer dans un univers détaché du réel. Ce qui m’importait, c’est que durant le film, toute l’attention soit sur la relation entre les deux personnages : leurs émotions, leur communication et leur métacommunication. En ne faisant appel qu’aux éléments nécessaires de leur environnement avec une approche graphique minimaliste, j’avais l’impression de donner plus de relief aux sentiments de la femme et du thérapeute. L’utilisation du vide autour de ce dernier renforçait également sa position dominante, presque divine : en le faisant évoluer dans un espace hors du monde, qui est aussi son territoire propre. Un élément important du dispositif du film était la volonté de susciter l’incertitude chez le spectateur. J’ai choisi la couleur bleu marine car je cherchais une nuance qui soit à la frontière : très proche du noir, mais encore dans le bleu. J’avais aussi l’impression qu’avec cette couleur, la composition évoquait des motifs de porcelaine chinoise, qui donnaient aux images une apparence de fragilité non sans rapport avec le thème du film.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je pense que le court métrage va rester un tremplin majeur, car à mon avis c’est le format idéal pour expérimenter des choses sur les plans visuels et narratifs. Je crois aussi que les courts sont parfaits pour montrer aux spectateurs des contenus pertinents et intéressants.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
C’est une question difficile car nous n’avons pas tous les mêmes centres d’intérêt. Personnellement, dans mon temps libre, la musique est l’un de mes plaisirs culturels favoris en dehors du cinéma. Pendant le confinement, je me suis mis à collectionner des disques vinyles. J’adore ça, car quand je mets un disque, ça a sur moi un effet émotionnel totalement différent de quand j’écoute une chanson sur mon ordinateur. C’est une expérience beaucoup plus intense.
Helfer (Aide) fait partie du programme I13 de la compétition internationale.