Dîner avec Le Chant du feu
Entretien avec Clémence Le Gall, réalisatrice de Le Chant du feu
Pourquoi avoir choisi de situer l’action dans un phare ? Souhaitiez-vous explorer l’impact de l’automatisation ?
J’ai grandi près de la mer, en Loire Atlantique. Le littoral m’a toujours semblé un territoire intéressant à filmer. Dans cet espace, il y a une ambiance indescriptible, de bout du monde. J’aime bien la description que le peintre He Yifu fait du Finistère : il “fait s’arrêter les gens qui en oublient leur retour, plongés dans leur contemplation”. Je voulais filmer le bord de mer car c’est justement cet espace qui enveloppe et aspire vers un moment de flottement, de recul, et d’introspection. Pour le phare, j’ai toujours été fascinée par leur langage lumineux qui me semble particulièrement cinématographique. Il y a quelque chose dans le monde marin qui est à la fois très concret mais aussi très magique. La frontière avec le fantastique ne semble jamais loin. Ce qu’on appelle le chant du feu, c’est le son que produit la lanterne en tournant en haut du phare lors des nuits de veille. Dans la tour, ils ne peuvent pas voir la lumière tourner, ce roulement incessant leur indique que tout fonctionne. Par rapport à l’automatisation, j’ai compris en rencontrant de nombreux gardiens de phare qu’elle avait créé un sentiment de nostalgie par rapport à ces bâtiments devenus fantômes, comme vidés de leur âme. Cette nostalgie, je l’espère, parcourt le film. L’automatisation questionne le sentiment d’utilité du gardien. Pour Noé, le rythme des gardes ainsi que son chant nocturne sont la colonne vertébrale de son quotidien. L’automatisation vient bousculer tout cet équilibre. C’est de ça dont je voulais parler dans le film.
Connaissez-vous bien la région ?
Avec leur ambiance pluvieuse, l’humidité, la brume, les paysages côtiers sont souvent le cadre d’impressions obscures, étranges, incertaines, imprégnées d’une mélancolie ou d’une tristesse naturelle. En allant à Dunkerque pour les repérages, j’ai retrouvé cette ambiance que m’avaient évoqué les paysages bretons. Ce qui m’a frappé à Dunkerque, c’est la proximité du phare avec les usines. Il y a une analogie évidente entre toutes ces grandes carcasses vides qui s’allument la nuit. Le phare de St Pol, notre décor, est donc ce point de jonction et de rupture entre le côté de la Terre très mécanique et concret des usines et de la société industrielle, et le côté de la Mer avec les éléments incontrôlables, magiques et qu’on connait assez peu. C’est le dernier pivot humain avant l’Océan, en cela je pense que c’était le décor au paradoxe idéal pour le récit que je voulais raconter.
Les prises de vue sont magnifiques. Comment s’est déroulé le tournage ?
Merci beaucoup ! Ce film d’études m’a accompagnée pendant toute ma scolarité. J’ai mis du temps à l’écrire pendant le confinement, et le tournage a été plusieurs fois décalé à cause de la pandémie. Pendant le tournage, j’ai ressenti cette nécessité de faire le film due à l’attente (préparation, confinement). Le tournage a été intense et efficace, une énergie drastiquement différente de l’écriture et de la préparation. Avec le chef opérateur Quentin Lacombe, nous avons pris le temps de préparer des palettes de couleurs, d’échanger de nombreuses références visuelles qui étaient autant les films de Jean Epstein, ceux d’Alice Rohrwacher ou encore d’Alain Guiraudie. Avec Elyot Milshtein, compositeur de musique originale, cela fait deux ans que nous composons ensemble. Pour ce film, nous avons travaillé des maquettes avant même le tournage. Le tournage était chargé de toute cette préparation qui a permis à la fabrication de se dérouler dans des conditions idéales. J’ai eu la chance d’être entourée par une équipe incroyable, notamment le producteur et directeur de production qui m’ont aidée à réaliser exactement ce que j’avais dans la tête. C’est très rare, pour un film étudiant, je me sens très chanceuse.
En tant que cinéaste, quelles histoires aimez-vous raconter ? Qu’envisagez-vous d’explorer dans les années à venir ?
J’aime raconter des histoires intérieures. Ce qui m’intéresse, c’est de voir jusqu’où on peut aller dans la compréhension d’une sensibilité. Comment on peut glisser sous la peau d’un personnage, sans avoir besoin de mots. Et en même temps, j’aime l’idée de ne pas être trop contemplatif, le cinéma permet aussi la fantaisie et la trivialité. J’essaie de trouver cet équilibre dans l’écriture de mes deux prochains projets de courts métrages, Océan Mer et Les Évanouis de White Sand. J’ai aussi un projet de documentaire avec Shoreh Belfond sur le silence post-traumatique. Pour ces prochains projets, je souhaite articuler des récits autour de personnages féminins. Le féminisme a pris une place croissante dans ma vie et est maintenant inextricablement lié à mes projets d’écriture. Les thématiques qui me sont chères sont souvent liées à la marginalisation, la solitude, et cela dans des paysages côtiers. Il y a une phrase de Baricco qui m’accompagne beaucoup pendant l’écriture : “Telle était la pension Altmayer. Elle avait cette beauté que seuls peuvent avoir les vaincus. Et la limpidité de ce qui est faible. Et la solitude, parfaite, de ce qui s’est perdu.” Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment des personnages chargés de ce sentiment peuvent se réinventer pour changer leur destin. Etant avant tout musicienne, le travail du son et de la musique est aussi essentiel dans mon travail, c’est ce qui me permet de chercher des glissements dans un univers immersif.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquée ?
Ce serait sûrement banal de dire La Jetée de Chris Marker, mais comment passer à côté ! Sinon, plus récemment, j’ai beaucoup aimé I Am Afraid to Forget Your Face, car sa façon de mettre en scène le silence m’a beaucoup touchée. Dans un style très différent, j’ai beaucoup aimé Dustin de Naïla Guiguet, pour son personnage et le travail du son.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Sacrée question ! Je pense qu’il n’y évidemment pas de recette magique, mais je dirais que les films qui me touchent sont ceux qui me semblent porter un courage émotionnel : pour moi, il est nécessaire d’oser faire un film avec ses tripes, et se faire confiance là dedans. Après, une fois qu’on a un sujet sincère, on oublie souvent à quel point le cinéma est un art collectif. C’est l’énergie entre tous·tes les membres de l’équipe, je pense, qui transforme l’essai et fait qu’un bon film peut exister. On ne fait jamais un film tout·e seul·e !
Pour voir Le Chant du feu, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.