Goûter avec Little Berlin
Entretien avec Kate McMullen, réalisatrice de Little Berlin
Pourquoi vous êtes-vous intéressée au mur de Berlin au départ ?
J’ai commencé à y penser en 2019, quand l’Allemagne a fêté les trente ans de la chute du Mur ; mais j’avais besoin d’un nouvel angle. En creusant un peu le sujet, je suis tombée sur Mödlareuth, un village agricole tranquille qui s’est retrouvé coupé en deux par le Rideau de fer en 1946. Il y a un détail en particulier, dans cette tragédie, qui m’a tout de suite interpellée : le taureau du village, Peter, a été séparé de ses vaches. Quand j’ai lu ça, il m’a paru impossible de ne pas en faire un film.
Comment avez-vous retrouvé ces images d’archive ? Combien de temps avez-vous passé sur le montage ?
La plupart des images d’archives ont été tournées par Arndt Schaffner, un photojournaliste, aujourd’hui décédé, qui a méticuleusement consigné la vie à Mödlareuth pendant la Guerre Froide. On peut voir son travail sur internet, et sa famille nous a gentiment donné la permission de l’utiliser. Nombre de ses plans (comme le villageois qui prend le soleil à côté du mur de 3m50 de haut qui traverse son jardin) font plus étranges que s’ils étaient fictifs : ça collait parfaitement à ma tragicomédie bovine. J’ai passé à peu près 6 mois sur le montage, mais je tournais en même temps. Je faisais un montage grossier, je regardais ce qui manquait, puis j’allais faire des prises de vue complémentaires. C’est une approche qui me convient bien, même si ça prend cinq fois plus de temps et rend l’équipe complètement dingue.
Comment avez-vous trouvé le bon équilibre entre l’enchaînement d’images d’archives et les images tournées aujourd’hui ?
C’est un collage, en fait. Parfois les plans sont juxtaposés pour créer un récit fluide, parfois pour créer un contraste absurde. La plupart des plans de vaches et de mur sont de moi. Nous avons passé deux semaines à camper avec un troupeau de vaches au pays de Galles, puis quelques jours à Mödlareuth, où il y a encore un pan de mur qui subsiste. Notre budget était serré, alors on a beaucoup réfléchi à comment « tricher » sur certains plans. Par exemple, pour recréer le moment de la construction du mur, on a suspendu un carré de mousse isolante au bout d’une corde et balancé de la fumée dessus. Filmé en plan rapproché et inséré rapidement entre des vaches affolées et des images d’archive de tanks, on n’y voit que du feu…
Dans quelle mesure vous intéressez-vous à la thématique des conséquences des guerres en générales ? Avez-vous de futurs projets en tête à ce sujet ?
Je m’intéresse aux conséquences des choix politiques de manière générale : à la manière dont les politiques arbitraires ou égoïstes – faites pour servir les intérêts de ceux qui les mettent en place – impactent les gens ordinaires. Le Brexit est l’exemple le plus énorme dont j’aie pu être témoin de mon vivant, et en tant que britannique qui en paie le prix, je suis tentée d’aller creuser de ce côté pour mon prochain film.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquée ?
Début 2021, j’ai vu un film qui s’appelle View, de la réalisatrice norvégienne Odveig Klyve. C’est un film qui dure moins de 4 minutes, sans dialogues ni voix off, et qui montre l’impact des bateaux de croisière à plusieurs étages sur la petite ville côtière de Stavanger. Le contraste d’échelle est sinistrement absurde : on a l’impression de voir des gratte-ciels entrer lentement dans ce port minuscule. Ce sont quatre minutes inoubliables !
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Un bon film, ça vous happe !
Pour voir Little Berlin, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F10.