Goûter avec María de los Esteros
Entretien avec Eugenio Borrero, réalisateur de María de los Esteros (María de la mangrove)
Comment avez-vous travaillé sur les lumières et les couleurs de María de les Esteros ?
Pour ce court métrage, nous avons presque tout tourné en lumière naturelle car nous voulions que les personnages soient en harmonie, physique et émotionnelle, avec le paysage naturel du littoral pacifique colombien. Nous voulions que la femme “Piangüera”, c’est-à-dire María, cette femme qui récolte des coquillages, se confonde avec la boue et les mangroves. Comme si elle-même était une partie de ces racines. Cependant, nous ne voulions pas faire un portrait réaliste des mangroves. C’est pourquoi nous avons choisi la couleur sépia, qui nous a permis d’accentuer l’exubérance et les contrastes du territoire, et de construire un espace symbolique, intemporel et sinistre.
Où avez-vous tourné le film ? Bajamar existe vraiment ?
Depuis 2007, le gouvernement met en place le macro projet Ciudadela de San Antonio au port de Buenaventura (Colombie). Ce projet cherche à réinstaller les familles habitant des maisons palafittes situées dans la ligne de basse-mer vers l’aire continentale. Au départ, les fonctionnaires du gouvernement argumentaient que la raison principale de cette action était de protéger la population contre les risques d’un tsunami. Mais en réalité, ce projet cache des intérêts bien plus obscurs. En effet, d’après les plans de développement de la ville, les habitants de la zone de basse-mer sont un obstacle pour l’expansion portuaire et la construction de mégaprojets. Ce qui n’a rien à voir avec l’idée « d’aide » à la population.
Peut-on considérer l’eau comme un personnage à part entière dans le film ?
Comme les mangroves vivent entre la mer et la terre, María de los Esteros vit entre la mémoire et l’oubli. María semble avoir à l’esprit le va-et-vient de la marée, comme si le mouvement des vagues était la réminiscence de ses souvenirs. Dans ce sens, nous pourrions dire que l’eau est un personnage, de même que les mangroves, la mer et le territoire. Dans María de los Esteros, le personnage principal est l’espace lui-même.
À quel point étiez-vous intéressé par la représentation de la perte de certaines cultures et la disparition de communautés entières dues la globalisation ?
De nos jours, les gardiens de la mémoire ancestrale de ces terres sont traités de la même façon que l’on traiterait des containers : on les entasse, les réinstalle ou les jette à souhait. C’est un processus d’anéantissement qui avance de la façon la plus cruelle et qui, pour ne laisser aucune trace, emploie des méthodes telles que la disparition et le démembrementCe qui en principe se présente comme un processus de réinstallation devient un phénomène complexe de dépossession territoriale. Tout cela signifie que, non seulement cette population est expulsée des terres qu’elle habite depuis plus de 70 ans, mais qu’elle est aussi dépossédée du capital symbolique généré grâce à son interaction quotidienne avec l’espace de basse-mer.
Pourquoi avoir choisi de ne montrer aucune entité masculine dans le film ?
L’absence de figures masculines dans ce film est plutôt « organique » puisque la tradition de l’extraction de piangüas dans les mangroves est un métier réalisé par des femmes et leur savoir-faire se transmet de génération en génération.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
María de los Esteros n’a pas de recours à la causalité logique mais plutôt au jeu de la discontinuité propre à la poésie. L’argument est assez simple : c’est une femme cueilleuse de piangüas dans les raizales qui, en accomplissant sa tâche, se souvient. Ce devenir de la mémoire est le dispositif narratif utilisé pour configurer un récit où le temps chronologique se substitue au temps du souvenir et de la perception de Maria.
Pour voir María de los Esteros (María de la mangrove), rendez-vous aux séances de la compétition labo L2.