Lunch avec Pięć Minut Starsza (Cinq minutes de plus)
Entretien avec Sara Szymanska, réalisatrice de Pięć Minut Starsza (Cinq minutes de plus)
Pięć Minut Starsza traite de la gémellité et de l’identité. Qu’avez-vous voulu explorer à travers cette relation entre les deux sœurs ?
En fait, j’ai moi-même une sœur jumelle, et j’ai toujours senti que cette relation avait forgé mon identité sous bien des aspects. Moi et Nadia nous sommes très proches, nous nous ressemblons, nous avons les mêmes centres d’intérêt. Et à cause de ça, la question de l’identité et de l’individualité m’a toujours travaillée. Les gens comprennent souvent mal en quoi ça peut être complexe d’avoir une relation si proche. À peine entendent-ils le mot « jumeaux » ou « jumelles », qu’ils se font une image idéalisée de meilleurs amis qui se comprennent sans avoir besoin de parler et échangent leurs identités pour embobiner les autres. Personne ne réalise l’effort immense que demande le maintien d’un esprit d’individualité dans cette relation, et je voulais faire la lumière sur ce sujet. En tant que sœur jumelle, ma vie est constamment tiraillée entre ma quête constante d’autonomie et notre symbiose, deux forces d’intensité égale. Moi et ma sœur, on blague toujours en disant qu’on est comme un couple marié sans possibilité de divorcer. On s’aime immensément, et on est là l’une pour l’autre quoi qu’il arrive, jour et nuit, mais nos disputes sont à l’avenant, et peuvent devenir vraiment vicieuses, parce qu’on sait exactement quoi dire pour blesser l’autre. Et, peu importe à quel point ça s’est envenimé, à la fin de la journée, on va s’embrasser et faire la paix. Dans le film, les deux sœurs partagent une relation amour/haine semblable. C’était important pour moi de faire ce film, à un niveau personnel. Je l’ai créé à un moment où la distance se creusait entre ma sœur et moi, et où nous avions beaucoup de rancunes l’une envers l’autre. Je crois que je voulais savoir si tout ça en valait bien la peine, au final. Mais il faut regarder le film pour le savoir.
Est-ce que le domaine de l’animation vous a toujours intéressée ?
J’ai toujours apprécié de regarder des dessins animés, enfant ou adulte, et je suis complètement accro aux séries de Matt Groening : Les Simpsons, Futurama et Désenchantée. Mais je ne me suis jamais vue moi-même comme une cinéaste d’animation. Franchement, c’est un choix de vie hasardeux qui m’a mis sur cette voie. Dans l’enfance, ma sœur Nadia et moi on s’intéressait beaucoup à la photographie et au cinéma, on photographiait tout ce qui se trouvait sur notre chemin avec le vieil appareil Kiev de notre grand-père. À l’âge adulte, elle a travaillé très dur pour entrer dans la section Direction de la photographie, là où j’étudie en ce moment, à l’École nationale de cinéma de Lodz et, après deux tentatives, elle y a été admise. C’était extraordinaire, parce qu’ils ne prennent que sept ou huit étudiants par an et qu’il y a des centaines de candidats. Moi j’ai essayé trois fois et je n’y suis pas entrée – on me disait que mon style visuel était trop similaire à celui de Nadia. Quand j’y pense, c’était un mal pour un bien. À la dernière minute, j’ai décidé de me porter candidate pour la section du Film Animé, parce que j’ai toujours aimé créer des mondes en partant de rien. Je n’ai jamais su dessiner correctement, ce qui explique probablement à quoi ressemble mon film.
Pouvez-vous nous parler des outils et de la technique utilisés pour le film ?
Tout a été dessiné sur mon portable avec une tablette graphique Wacom, en utilisant Photoshop et, timidement, After Effects – je ne suis pas très hi-tech. Il n’y a que les fonds qui sont dessinés à la main, en utilisant de l’encre et des feutres Winsor & Newton sur mon papier jaunâtre préféré, dont j’ai dû sacrifier un cahier entier.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquée ?
Franchement, je suis très fan de ce que fait ma sœur. Elle a fait aussi bien du documentaire que de la fiction, mais son dernier documentaire, Milo, m’a vraiment frappée, à la fois sur le plan visuel et pour son approche charmante d’un sujet difficile – concilier maternité et jeunesse quand on est mère à un jeune âge. Je crois que ça ne surprendra personne, vu que nous avons le même style visuel et qu’on puise dans les mêmes expériences de vie (notre mère nous a eues jeune). Si l’on parle d’œuvres de cinéastes d’animation connus, je dois avouer que j’adore les courts d’Igor Kovalyov, leur esthétique brute et l’aspect abstrait et drôle de leur narration, et le travail de mon professeur et mentor, Mariusz Wilczyński.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Je suis extrêmement fascinée par les êtres humains, de plus en plus : ce qu’ils pensent, comment ils voient le monde, là où ils vont. Chacun de nous est unique, avec son propre bagage, ses propres pensées, ses failles (ah, ces merveilleuses failles !), ses humeurs et ses avis. Je crois que les meilleurs films sont ceux qui savent creuser au plus profond de notre propre expérience pour en puiser directement l’essence, l’en arracher de nous pour la donner à voir aux autres. Je crois que les vrais chefs d’œuvre ne peuvent venir que d’une forme de vulnérabilité, qui s’avère une force extraordinaire capable de rassembler les gens. Faire des films est une sorte de thérapie pour moi. Pendant que je le fais, je pleure, je transpire, je râle. Mais je ne changerais ça pour rien au monde, parce qu’à la fin, je peux regarder dans le miroir et voir une petite partie de moi-même, jusqu’alors toujours repoussée aux tréfonds de mon être, briller d’un fier éclat au soleil.
Pour voir Pięć Minut Starsza(Cinq minutes de plus), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I2.