Goûter avec Sarira
Entretien avec Mingyang Li, réalisateur de Sarira
Comment est née l’idée de Sarira ?
C’est parce que j’ai toujours eu envie de filmer sur des thèmes religieux. J’aime l’aspect solennel et mystérieux que ça apporte. J’ai donc écrit le premier jet du scénario de Sarira. À l’origine, c’était l’histoire d’un moine qui est atteint d’un cancer des testicules. Comme le cancer l’obligeait à une ablation des testicules, je voulais exlorer la manière dont le moine considérait et questionnait son identité après l’orchidectomie. J’ai donc trouvé un véritable moine pour jouer le rôle. En parlant avec lui de manière de plus en plus approfondie, j’ai commencé à mieux comprendre certains des enjeux de leur situation actuelle des moines. Du fait du développement et de l’expansion de la ville, beaucoup de temples sont menacé de démolition et de relocalisation. Pour reconstruire, il leur faut trouver de nouvelles ressources et de nouveaux moyens de résister au temps. Dans un environnement aussi colossal, beaucoup de moines ont même perdu le temps et l’énergie pour les psalmodies. Je les vois comme un groupe de gens perdus dans le tourbillon de leur époque. Leur situation, c’est l’aphasie. Je trouvais plus urgent d’évoquer cette situation plutôt que les questionnements d’une identité personnelle. J’ai donc modifié le scénario pour utiliser les dents comme une métaphore, et la description des moines incapables de réciter des sutras à cause de leurs rages de dents reflète leur propre aphasie, comme celle de leur époque.
Pouvez-vous nous parler de la création du film, depuis l’écriture du scénario jusqu’au tournage ?
Nous habitions dans le temple où nous allions tourner, et la veille du tournage je me suis soudain rendu compte que quelques aspects de l’intrigue telle qu’elle était conçue n’allaient pas pouvoir être appliqués dans ce lieu, et ça m’a immédiatement inspiré de nouvelles idées. J’ai donc révisé le scénario la veille du tournage. La plupart des scènes réécrites instauraient de nouvelles intrigues et de nouveaux dialogues. Mais dès le premier jour de tournage, le problème est réapparu. Comme celui qui jouait l’un des moines avait, vingt ans avant de devenir moine, obtenu son diplôme d’acteur dans une école de cinéma, sa prestation ne manquait pas de professionnalisme ; le vieux moine était lui un amateur n’ayant jamais reçu de formation pour devenir acteur, et son jeu s’est avéré plus naturel, plus simple. Au bout d’une journée, j’ai trouvé que le jeu des deux acteurs manquait d’unité à l’écran, et que la qualité de leurs interprétations différait trop. J’ai donc à nouveau abandonné tous les éléments et les intrigues conçues le premier jour, et j’ai commencé à repenser une méthode d’interprétation qui puisse convenir aux deux personnages, ainsi qu’une intrigue plus en phase avec ce que je désirais exprimer. Le deuxième jour, nous avons changé tous les plans où les moines jouaient. Ce sont devenus des plans d’ensemble ou de demi-ensemble, tandis que les plans sur le vieux moine sont devenus des gros plans, et l’interprétation des deux a atteint d’un coup l’unité, qui permettait d’atteindre ce sentiment d’authenticité et de simplicité que je recherchais. Le lendemain nous avons visionné les scènes tournées et nous étions très contents, il y a eu plein d’influences sur le vif et d’évènements qui nous ont stimulé et donné plein de nouvelles idées, de créativité, et on a commencé à prendre du plaisir sur le plateau. Les deux jours suivants, nous visionnions la nuit ce que nous avions filmé dans la journée, puis échangions nos idées pour modifier les prises et les scripts prévus le lendemain. De cette façon, nous avons dans les quatre jours de tournage de Sarira pu pleinement éprouver la joie d’une création chaotique, ce qui n’aurait pas été possible sans la solidité de l’équipe de production qui nous a aidé à venir à bout de beaucoup d’incertitudes.
Que pensez-vous avoir appris durant ce processus ?
1 : À travers le tournage de Sarira, j’ai acquis la conviction que l’inspiration du moment, l’espace réel, et ce que renvoient les gens au réalisateur sont plus important que le lieu de tournage. Cela peut être une manière de rendre un film meilleur et plus personnel.
2 : En appréciant la création éphémère, le réalisateur se doit aussi de respecter le travail en amont de l’équipe de production, et trouver l’équilibre entre contingences de la production et liberté éphémère de la création.
Y a-t-il un court-métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Un court métrage chinois m’a profondément marqué : Head Rope and Egg Workbook, préselectionné pour le festival de Venise en 2021. Le film a un caractère posé et glacial, et le réalisateur sait comment accumuler les émotions explosives à travers l’objectif. Ça me plaît beaucoup.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
1 : on peut y sentir l’attention portée par le réalisateur aux personnes et à leurs temporalités.
2 : on partage les idées fortes et les émotions du réalisateur à travers son film.
3 : un bon film a une signature audiovisuelle mature et originale.