Dernier verre avec Lucky Draw
Entretien avec Chia-Hua Chin, réalisateur de Lucky Draw
Qu’est-ce qui vous a incité à creuser cette histoire et à la raconter sur fond du rétablissement de la peine de mort à Taiwan ?
En 2010, le ministre de la justice taiwanais, Tseng Yung-fu, a exigé que soit rétablie la peine de mort, qui avait été de facto suspendue pendant quatre ans. L’un des officers chargés de la mission a soudain pris sa retraite. Il avait une expérience considérable et avait exécuté plus de 80 détenus au cours de sa carrière. Sa décision a attiré l’attention du service juridique, ses supérieurs hiérarchiques l’ont supplié de rester et craignaient que son remplaçant, moins expérimenté, pose problème. J’ai lu cette information alors que je donnais le biberon à ma fille d’un an. Sur le moment, je me suis demandé, si j’étais officier, comment est-ce que j’arriverais à donner à manger à ma fille en rentrant chez moi après l’exécution. Je me suis mis à faire des recherches et, sans surprise, j’ai trouvé le témoignage d’un officier qui racontait qu’une fois, il avait passé la nuit seul sur son canapé après une mission d’exécution. Il n’avait aucune envie de prendre son enfant dans ses bras, de parler à sa famille ou de dormir avec sa femme. Le fait qu’ils ne mentionnent jamais ces tâches à leurs proches laisse une drôle d’impression. L’exécution, n’est-ce pas le dernier recours de la justice ? Pourquoi est-ce que ces fonctionnaires distingués s’acquittent de cette mission en cachette comme s’il s’agissait de quelque chose d’illicite ? En plus, ces officiers qui reçoivent l’ordre de tirer le coup de feu sont souvent aussi chargés des démarches administratives et d’escorter les prisonniers. Ils ne portent pas d’arme au quotidien, mais il faut qu’ils tirent sur un inconnu du jour au lendemain, à réception de l’ordre de mission. Tout cela m’a paru absurde, alors j’ai décidé de mettre ce sentiment par écrit.
Quel genre de recherches avez-vous effectué ?
Je suis allé sur internet et j’ai cherché des travaux universitaires dans les bases de données des bibliothèques. Là où j’ai rencontré des difficultés, c’est quand j’ai voulu joindre ces officiers chevronnés pour mes recherches de terrain. Je me suis entendu dire à maintes reprises qu’il n’y avait aucune chance pour que j’arrive à les rencontrer, que ce soit dû aux directives de leur hiérarchie ou à leur volonté personnelle, car cela faisait de nombreuses années que ce genre de requêtes n’aboutissait pas. Ce n’est que bien plus tard, au stade de la préparation du tournage, que j’ai réussi à avoir un peu plus de contacts avec les agences affiliées au gouvernement, et que grâce à leur aide, nous avons pu trouver trois officiers à la retraite qui acceptaient d’être interviewés. Même si l’entretien se passait sous le regard d’un supérieur hiérarchique, et ne devait durer que 45 minutes, nous avons pu récolter beaucoup d’informations utiles. C’est une expérience de recherche de terrain que je n’oublierai jamais.
Quelle est la popularité de cette peine dans le pays ? Y a-t-il beaucoup d’opposition de la part des officiers et est-ce que ceux-ci sont confrontés à des situations comme celle à laquelle font face vos protagonistes ?
Aujourd’hui, plus de 70% de l’opinion publique à Taiwan est favorable à la peine de mort, mais le nombre réel des exécutions a été ajusté à cause de l’alternance des partis au pouvoir. Près d’une quarantaine de détenus condamnés à mort n’ont pas encore été exécutés, et il y a moins de 10 officiers chargés de cette mission. Les officiers ne cessent de demander à ce que l’exécution par balle soit remplacée par une exécution par injection, et leurs requêtes montrent les pressions psychologiques énormes qu’ils subissent. Une fois que ce changement de méthode sera acté, ils ne pourront plus être chargés des exécutions, car ils n’ont pas de formation médicale, mais la Société des Anesthésistes s’opposera fermement à ce transfert de responsabilité.
Qu’espérez-vous que le public retienne de cette histoire ?
J’ai créé cette histoire par empathie. J’espère que le public ressentira et comprendra l’indécision des personnages principaux. Bien que ce soit une situation à laquelle la plupart des gens ne seront probablement jamais confrontés, l’empathie permet de rapprocher des gens qui viennent d’horizons différents.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Le court métrage s’intègre bien à ce vers quoi on se dirige : une manière plus flexible de regarder des films. Que ce soit pour l’art ou pour le divertissement, sur grand ou petit écran, je pense que c’est un format qui a encore beaucoup d’avenir et beaucoup de perspectives de développement.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Tout concours de talents qui peut avoir lieu en ligne serait utile, que ce soient des compétitions individuelles ou par équipe, des tournois de bridge ou d’échecs. Si le confinement doit durer plusieurs mois, on pourrait étendre l’envergure des compétitions. Avec une belle récompense à l’appui, cela susciterait l’intérêt du plus grand nombre. Sinon, pour quelque chose de plus détendu, on pourrait partager à tour de rôle nos listes de lectures – livres ou chansons – comme dans un club de lecture. Ce qui est sûr, c’est qu’il vaut mieux prendre part à quelque chose que de rester seul dans son coin.
Pour voir Lucky Draw, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I12.