Dîner avec Sprötch
Entretien avec Xavier Seron, réalisateur de Sprötch
Alerte spoiler! Quel film surprenant, on passe du rire à l’horreur. Parlez-nous un peu du choix de ton et de changement de ton.
L’humour noir c’est quelque chose d’assez particulier. On rit de ce qui a priori ne s’y prête pas. Et on peut dire que la mort d’un enfant figure très certainement parmi les pires choses qui soient. Pourtant, il ne s’agit pas de se montrer cynique ou insensible mais d’appréhender ce qui – précisément – nous angoisse ou nous bouleverse. C’est une manière de se défendre. Rire c’est montrer les dents. Et comme je suis un grand anxieux, c’est quelque chose qui me vient assez naturellement et qui se retrouve dans la plupart de mes films. Bon, il faut quand même préciser que Sprötch n’est pas un film naturaliste. Il y a d’emblée un décalage (accentué par l’usage du noir et blanc), une mise à distance qui permet l’incursion de cet humour grinçant. Quant au changement de ton, il va simplement de pair avec le twist final. C’est un choc. Le personnage de Tom (campé par Jean Le Peltier) se trouve confronté à cet autre binôme « père-fils » tombé d’un avion. Et on passe effectivement du rire à l’horreur. À cet instant, on réalise aussi que le film n’était pas celui qu’on croyait. Un basculement s’est opéré. Le film semblait traiter de la relation père-fils et finalement nous interpelle sur la « crise migratoire ». Pourtant, ce basculement ne vient pas de nulle part. Dès le début du récit, la radio annonce la noyade d’un groupe de migrants, les avions ne cessent de passer. Leur grondement est assourdissant.
Qu’est -ce qui vous a poussé à faire référence aux voyageurs clandestins et à ces événements tragiques ?
Avec l’avion, jamais, il n’a été aussi facile de traverser mers et terres… du moins pour les plus favorisés d’entre nous. Mais pour une très large part des 7,8 milliards d’individus qu’abrite notre planète c’est une autre histoire. Tous les jours, des personnes qui cherchent à sauver leur peau, trouvent la mort, entassées au fond d’une cale ou sur des embarcations de fortune, cachées dans une citerne, la remorque d’un camion… ou même dans la trappe du train d’atterrissage d’un avion. C’est la lecture d’un article de presse qui m’a interpellé : Juin 2019, un anglais allongé dans son transat prend le soleil dans son jardin, dans le Sud-Ouest de Londres quand soudain, un homme s’écrase à un mètre de lui. Il est tombé du train d’atterrissage d’un vol de Kenya Airways à destination de l’aéroport d’Heathrow. Et malheureusement, ce drame est loin d’être un cas isolé. Récemment encore, le 8 janvier 2020, à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, un enfant d’une dizaine d’années était retrouvé mort dans le train d’atterrissage d’un avion d’Air France en provenance d’Abidjan.
Pourquoi le choix du noir et blanc ?
J’ai fait d’autres films en noir et blanc et je remarque que la question revient régulièrement. C’est amusant parce que – à l’inverse – on s’interroge rarement sur les raisons de l’emploi de la couleur. Pour moi, le noir et blanc c’est un peu comme un paysage sur lequel il aurait neigé pendant la nuit et que vous redécouvrez au petit matin. Des choses s’estompent, disparaissent mais d’autres se révèlent. Le noir et blanc vous permet d’accéder simultanément à deux dimensions a priori paradoxales : l’abstraction et l’incarnation. D’une part, il vous plonge dans le registre de la réinterprétation, dans un univers recomposé et, à mon sens, propice au décalage. Et d’autre part, le noir et blanc contrasté, donne à toucher, à (res)sentir. C’est sa dimension organique. Dimension en quelque sorte annoncée par ce titre aux allures d’onomatopée : SPRÖTCH.
Quels types de sujets aimeriez-vous explorer par la suite ?
Holala… Il y en a plein. En ce moment, par exemple, je planche sur une comédie chorale avec des chiens mais qui parle des êtres humains, de leur solitude et de leur besoin d’être aimé. Sinon je suis père depuis un peu plus de 5 mois et c’est vrai que cette paternité se révèle assez inspirante. Quel chamboulement ! Et puis, ça vous amène à poser un autre regard sur le monde, ne serait-ce que pour tenter de l’expliquer à votre progéniture. Indirectement, c’est aussi une espèce de voyage rétrospectif sur votre propre enfance. Un autre sujet qui continue de me questionner c’est la peur. La peur de mourir, la peur de l’autre, la peur de la différence… qui, lorsqu’elle devient pathologique, peut générer des comportements absurdes. Et puis, il y a ce qu’elle permet de justifier comme dérives au niveau sociétal au nom de la sacro-sainte sécurité et du bien commun.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je ne sais pas. Je me demande si la question n’est pas plus globale : « Quel est l’avenir du cinéma ?»… ou simplement « Quel est notre avenir ?». Malgré la situation sanitaire et les conséquences dramatiques qui devraient en résulter… et même si certains décideurs s’évertuent à considérer la culture comme « non essentielle », j’ai envie de croire que ça n’empêchera pas les plus pugnaces de faire des films, surtout des courts. Les moyens qui permettent de tourner et de monter ce sont relativement démocratisés. La source ne devrait donc pas se tarir demain. Après le problème est et restera : comment en vivre ? Une autre question est sans doute celle de la diffusion. Où iront ces films ? Comment les festivals vont-ils encaisser le choc et surtout quel avenir pour les salles au moment où nous assistons à l’accélération du « tout en ligne ».
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous ?
Oh… des plaisirs simples : (re)voir des films, écouter de la musique et – selon l’inspiration et l’énergie du moment – danser, faire de la musique (en tout cas, essayer) Dernièrement, j’ai fait l’acquisition d’une batterie électronique. Personnellement ça me détend. Mais est-ce que ça détend les voisins ? Mystère… Moins bruyant comme plaisir et pour rester dans le registre «forme courte », si vous affectionnez les recueils de nouvelles, je vous conseille la lecture des contes cruels d’Octave Mirbeau, ceux de la folie ordinaire de Charles Bukowski, Le loup-garou et autres nouvelles de Boris Vian ou encore Le plus petit zoo du monde de Thomas Gunzig… Et pour celles et ceux qui seraient plutôt BD, un de mes livres de chevet : Les idées noires de Franquin !
Pour voir Sprötch, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I4.