[Editorial] La compétition Labo 2018 explore et réinvente le monde
Pour cette 17e édition, le Labo s’emploie à bousculer les règles et le réel en explorant contrées et recoins, réels ou fictifs, qui disent tant de choses de nous. On creuse toujours et fermement le même sillon : celui de l’inexplicable et des mondes parallèles. « Je pense que l’univers est à 97% rationnel », énonce le réalisateur français Clément Cogitore, « mais c’est dans les 3% restant que se situe mon travail d’artiste et de raconteur d’histoires : on s’invente des récits pour cohabiter avec ce que l’on ne comprend pas. » Son film L’intervalle de résonance nous ouvre les cieux de l’Alaska où l’on chemine entre théorèmes astro-physiques et croyances inuits.
En sélection à Clermont-Ferrand pour la quatrième fois avec Shadow Nettes, Phillip Barker nous mystifie avec cette fascinante tradition qui pousse les pêcheurs d’une vallée reculée à montrer leur force et leur habilité avec un dispositif traditionnel de pêche qui projette leur silhouette sur l’eau. Le hollandais Rosto, habitué du festival, sélectionné de nombreuses fois, juré Labo en 2007 et auteur de l’affiche du festival la même année (un programme Collections lui est consacré cette année), propose une visite fantasmée de sa petite enfance. Mélangeant diverses techniques d’animation à des images en prise de vue réelle, Reruns est un trip magistral, une plongée dans l’intime magnifiée par la musique très mauvaises graines de The Wreeckers. Pang-Chuan Huang, jeune taiwanais élève de Le Fresnoy (Studio National des Arts Contemporains de Tourcoing), fait un double voyage avec son film Retour, dans son histoire familiale, mais aussi à travers un continent, le tout avec un humour et une douceur qui doivent beaucoup à Chris Marker.
Mais certains films sont aussi portés par l’ambition de changer l’ordre du monde. À Beyrouth, dans le film Tshweesh de la libanaise Feyrouz Serhal, la coupe du monde démarre. Les habitants, tout en étant conscients de l’invasion israélienne imminente, sont excités par cet événement sportif et veulent le vivre malgré tout. Quand l’attaque commence et qu’ils ne trouvent plus de moyen de capter le signal télévisé, ils montent sur les toits pour assister en direct à l’agression contre leur ville, comme s’ils se trouvaient de l’autre côté du globe, regardant sur leurs postes de télévision une agression israélienne sur une ville appelée Beyrouth. Les réalisateurs chiliens de Snap documentent à l’aide d’Instagram le parcours d’Axel, Bastian et Alfonso qui veulent changer de sexe, proposant une réflexion des plus affutée sur le corps, l’image de soi, la ville et la ségrégation dont ils sont victimes. Black America Again tord le slogan de la campagne de Trump : « Make America Great Again » (rendre sa grandeur à l’Amérique). En musique, dans un noir et blanc somptueux, le film célèbre la communauté noire américaine à une époque où il est capital d’afficher un autre slogan : « Black Lives Matter » (les vies des Noirs comptent).
Il faut demander à l’art d’être une tension, une question que se pose la société. Le Labo est là pour mettre le feu à la question.