Dernier verre avec Abada
Entretien avec Jean-Benoît Ugeux, réalisateur de Abada
Quelle est la genèse d’Abada ?
Le film s’est fait un peu par imprévu : le festival « Carpentras fait son cinéma » venait de se lancer et ils cherchaient des réalisateurs prêts à faire un film de 8’40’’ en 84 heures. Aimant tourner vite et dans des dispositifs ultralégers, j’ai donc tenté ma chance avec une mini-équipe de gens que je connaissais plutôt bien et nous avons été sélectionnés. Je savais que je ferais une « version longue » et ai donc dû jongler entre les deux, c’était périlleux. On a vraiment cru être complètement à côté de la plaque avec notre petit opus mélancolico-psychanalytique et au final on a eu l’énorme bonheur de gagner le grand prix.
Qu’aviez-vous envie d’explorer à travers le personnage du fils qui tente, avec plus ou moins de succès, d’avoir une discussion franche avec son père ?
Je voulais travailler sur la nécessité pour pouvoir grandir de la destruction de deux mythologies : la mythologie familiale ainsi que la mythologie personnelle que l’on se construit vaille que vaille pour se protéger. On a tourné beaucoup de scènes ou le père explique au fils que ce qu’il raconte dans sa BD (même si le père dit qu’il ne l’a pas lu) n’est pas l’exacte vérité. Dans la scène au restaurant, il lui explique d’ailleurs que le fils était extrêmement heureux de venir le voir alors que le fils se souvient du contraire. À travers les lumières du père sur le passé de la famille, on se rend compte que tout est question de point de vue finalement. Ou de déni. Ou de résilience.
Le personnage du père se caractérise par ses réponses évasives, fuyantes, alors que le fils, lui, se montre plus offensif. Comment avez-vous travaillé avec les deux acteurs ? Quelles directions leur avez-vous données ?
Ils sont très différents dans l’écriture déjà, même si il n’y avait absolument aucun dialogue pré-écrit et un synopsis très parcellaire… Mais en tout cas le fils vient chercher des réponses. Et de ce fait la, même s’il tourne un peu autour du pot, il est plus invasif alors que le père qui ne cherche pas du tout la confrontation. Au contraire, il semble même la fuir du haut de sa bonhommie étrange Je voulais qu’on ne sache jamais exactement où se situe le personnage du père, qu’on ne sache pas s’il est vraiment malade par exemple. S’il est lâche, salaud ou simplement victime. S’il a eu tort ou raison. C’est aussi pour cela que je l’ai fais s’occuper de Airbnbs : il n’a même pas de véritable chez lui dans cette histoire. Il est au bout de quelques chose alors que le fils est au début. Par définition, ça suscite de facto des énergies différentes.
Quelles réactions ou réflexions aimeriez-vous que votre film suscite chez le spectateur ?
Via cette idée de choc des histoires personnelles, je voulais confronter deux réalités et raconter qu’il n’en existe au finale aucune, qu’il n’y a que des ressentis. J’ai moi-même une histoire assez compliquée avec mon père (la plupart de mes projets parlent de cette relation…) et cela m’a pris énormément de temps pour comprendre qu’il n’y avait peut-être pas un coupable d’un côté et une victime de l’autre mais que tout cela pouvait être très poreux. Et sans devoir passer par la christique case du pardon, qu’il y a à tout le moins moyen de considérer que chacun fait ou a fait ce qu’il peut, dans la mesure de ses moyens, à l’aune de son historique. C’est assez reposant comme constat, finalement…
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
La question piège, ha ha.. Je pense que c’est un format qui existera toujours car d‘une part, tous les plus grands réalisateur du monde doivent bien commencer comme cela et d’autre part, car cela permet une liberté et une indépendance que le long métrage ne permet pas toujours ; le plus évident étant le casting. Le court permet d’explorer des pistes qu’un film qui a pris des années à se produire et dont le plan de travail est bétonnée des mois à l’avance ne permet pas. D’ailleurs pas mal de metteurs en scènes de longs-métrage font des courts tout au long de leur carrière, certains acteurs aussi d’ailleurs. Quand j’étudiais à Liège, j’allais voir presque tous mes films au cinéma « Le parc » et il y avait un court métrage avant chaque séance de long. Le court métrage avait évidemment un lien avec la thématique du film. J’ai trouvé cette idée vraiment géniale et cela me manque depuis de ne plus jamais avoir ce petit bonheur curieux. Moi président, c’est la première loi que je promulguerais.
Demain on re-confine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
La masturbation.
Pour voir Abada, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.