Dîner avec Auxiliaire
Entretien avec Lucas Bacle, réalisateur d’Auxiliaire
Pouvez-vous nous raconter la genèse de votre film, Auxiliaire, qui s’intéresse à la relation entre un jeune homme handicapé et son auxiliaire de vie, relation qui se trouve chamboulée par le futur départ de ce dernier ?
La naissance de ce film, c’est le moment où trois amis – un réalisateur, un comédien et un producteur – se demandent si l’histoire qui les lie ne devrait pas être racontée dans un film. Alexis Dovera (producteur), Laurent Target (comédien) et moi-même, avons tous les trois travaillé en tant qu’auxiliaire de vie pour notre ami commun, Louis Milhet, un jeune ingénieur informaticien en situation de handicap. Dans ces moments où le professionnel et l’intime se mélangent, on s’est tous rapprochés de Louis et son handicap est rapidement devenu une simple considération logistique.Auxiliaire est mon premier court métrage et il était important pour moi de traiter un sujet dont j’ai personnellement fait l’expérience afin de proposer un film sincère, riche de détails et capable d’ouvrir une fenêtre sur le handicap et le métier d’auxiliaire de vie.
Comment avez-vous travaillé avec les comédiens pour parvenir à leur faire incarner cette relation complexe ?
J’ai pris le temps et j’ai eu du temps.
J’ai eu du temps pour répéter avec Etienne et Laurent, une dizaine de jour, ce qui m’a permis de faire une réécriture plateau et d’adapter les dialogues à leur personnalité.
J’ai pris le temps pour que ces deux-là se rencontrent, échangent et s’amusent réellement. En organisant des moments informels, dans des bars, des soirées, chez Louis. Si ça peut paraître futile, je crois qu’au contraire c’est ce qui fait que la relation marche à l’image : parce qu’ils en ont tissé une véritable, hors champ.
Comment avez-vous choisi les deux comédiens principaux ?
Le rôle de Marc a été pensé avec et pour Laurent Target. Je connais Laurent depuis des années et j’attendais avec impatience le moment où je pourrais le mettre en scène. Lorsque l’idée de ce film est née, c’était une évidence qu’il ne pouvait se faire qu’avec lui. Le rôle de Quentin a été plus complexe à choisir. Initialement, je voulais que Louis Milhet joue son propre rôle mais les répétitions ne furent pas concluantes et la fatigue corporelle que nécessitait ce tournage de nuit ne lui permettait pas de pouvoir embarquer dans l’aventure sereinement. Nous avons casté une quinzaine de jeunes hommes non comédiens en situation de handicap. Mais je n’y ai pas trouvé la personne que je cherchais. Les duos avec Laurent ne fonctionnaient pas. Nous avons organisé un nouveau casting en y intégrant cette fois des comédiens professionnels valides. Quand ce fut le tour d’Etienne Cocuelle, la relation avec Laurent fut évidente, mais éthiquement ce fut une autre histoire. Nous savions l’importance et la nécessité de représenter un corps handicapé au cinéma, mais il nous fallait voir les choses en face, à quelques semaines du tournage nous n’avions pas trouvé la perle rare parmi les personnes que nous avions rencontrées. J’ai pris la décision de travailler avec Etienne Cocuelle en qui j’avais une totale confiance.
Quel regard portez-vous sur la présence et la représentation des personnages handicapés à l’écran ?
De la même façon qu’il est essentiel de montrer à l’écran des personnes trans, des femmes qui ne sont pas objectivées et toutes les minorités invisibles, représenter des personnes handicapées à l’écran est un acte politique nécessaire et il y a encore beaucoup de chemin à faire. Le simple fait de ne pas avoir pu trouver un comédien handicapé qui corresponde au personnage que nous avons écrit en est une preuve. C’est sûrement parce qu’ils pensent qu’ils n’ont aucune chance que peu de personnes handicapées se lancent dans le théâtre ou le cinéma et on peut les comprendre quand on voit la place que le cinéma leur réserve : jouer dans des films dramatiques (et si être handicapé n’était pas un drame ?) ou des mauvaises comédies dans lesquelles le handicap est au centre, objectivé. Avec Auxiliaire j’ai voulu traiter du handicap sans en faire un sujet. Travailler avec Louis me l’a appris, c’est le regard des autres qui ramène les personnes handicapées à leur condition. C’était précisément ce genre de regard que j’ai voulu participer à faire évoluer. Si je n’ai pas pu trouver une personne handicapée pour tenir le rôle de Quentin, je suis par ailleurs fier de ce film qui, en le montrant dans tous ses détails, nous fait oublier le handicap. Je crois que c’est en levant le voile sur tous ces aspects inconnus qu’on peut les faire entrer dans l’imaginaire collectif comme de simples banalités.
Quel est votre court métrage de référence ?
Le court métrage Avant que de tout perdre de Xavier Legrand m’a marqué dans sa grande force de faire d’un sujet invisibilisé un véritable spectacle. Ce film prend aux tripes, surprend, émeut. Pendant ces quelques minutes, je suis devenu cette femme et j’ai eu peur de la violence d’un homme. C’est une des premières fois de ma vie où j’ai perçu ce que voulais dire être sous emprise et que j’ai ressenti l’effet dévastateur que ça avait sur cette femme. C’est précisément pour fabriquer ce genre d’expérience que je veux être réalisateur.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
Depuis que je connais son existence, j’ai perçu le festival de Clermont Ferrand comme lointain et inatteignable pour l’autodidacte que je suis. On me parlait de lui comme d’une étape évidente dans la carrière d’un réalisateur. Architecte de formation, j’ai suivi mon rêve de cinéma il y a cinq ans et ce sera la première fois que je vais à un festival pour y défendre un film. Je suis très heureux que ce soit dans le cadre du festival de Clermont Ferrand.
Pour voir Auxiliaire, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.