Dernier verre avec Accamòra (Maintenant)
Entretien avec Emanuela Muzzupappa, réalisatrice d’Accamòra (Maintenant)
J’imagine que c’est un film personnel. Pouvez-vous nous en dire plus sur le contexte de l’histoire ?
C’est une histoire complètement personnelle, en effet, peut-être même un peu trop. Elle est tirée d’une situation que je vivais au sein de ma famille à l’époque. Un de ces moments que personne ne souhaite vivre, mais qui, d’une certaine manière, représente une étape dans une vie par laquelle il faut tous passer tout ou tard – cet instant où tout peut basculer et où les souvenirs d’enfance et familiaux sont menacés de disparaître. En plus d’être personnelle d’un point de vue dramaturgique, avec la vente de la maison des grands-parents, cette histoire est aussi intime d’un point de vue émotionnel, car c’est l’exacte représentation de l’état émotionnel de cette période de ma vie : la peur. La sincérité avec laquelle j’ai abordé l’écriture de cette histoire était thérapeutique, c’était comme retourner sur les lieux des « fraises sauvages ».
Quel est votre degré de familiarité avec le lieu de tournage ? Comment s’est passé le tournage à cet endroit précis ?
Je connais ce lieu comme ma poche. Ce sont les collines où j’ai passé mon enfance, dans la maison de campagne de mes grands-parents. Ce sont les collines que j’ai toujours vues depuis la fenêtre de la voiture, rêvant d’un jour pouvoir les immortaliser dans un film, les transporter partout dans le monde, et les faire connaître au plus de gens possible. Filmer là-bas, c’était comme tourner à la maison. Le tournage était passionnant et marqué par une certaine responsabilité, dans la mesure où j’avais enfin l’occasion de réaliser un rêve. D’abord, il fallait que je respecte le lieu et que je souligne le caractère sacré que ma famille et moi lui accordons. Toutefois, les paysages comme celui-ci finissent toujours par vous présenter le revers de la médaille, à un moment donné. Tourner dans ce genre de lieu impliquait aussi un grand nombre de difficultés telles que la chaleur infernale ou l’absence d’électricité. Malgré cela, j’ai hâte de renouveler l’expérience.
Ces conflits de propriété terrienne sont-ils devenus monnaie courante aujourd’hui ?
J’entends de plus en plus d’amis, de connaissances et de gens de mon âge se retrouver dans ma situation. Pas forcément des Calabrais, pas forcément au sujet d’une maison de campagne. Le « conflit », si on veut le nommer ainsi, est de plus en plus répandu, et a trait à la perte du caractère sacré de certaines valeurs, traditions et souvenirs. Tout est bouleversé, et à juste titre, mais ce n’est qu’en respectant le passé qu’on peut affronter les bouleversements que l’avenir nous réserve.
Quels sujets et thématiques aimez-vous explorer dans votre travail ?
J’aime creuser des contextes familiers au sein desquels je peux développer des sujets qui sont la plupart du temps des anti-héros. J’aime parler de personnages faillibles, qui prennent souvent de mauvaises décisions, mais qui, justement, parce qu’ils prennent de mauvaises décisions, permettent au spectateur de s’écouter, même dans les situations les moins agréables. Interroger les choses les plus banales me fait prendre conscience de la complexité dissimulée sous des apparences de simplicité.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Communiquer à travers le format du film court est devenu un stimulus de plus en plus fréquent avec le temps, dans la mesure où l’idée des courts-métrages a changé et a adopté un langage différent. Je pense que le défi qui va se poser aux courts est de permettre à un certain type d’esprit de perdurer qui ne peut être alimenté qu’en quelques minutes. J’espère que les cinéastes consacreront du temps à la réalisation de courts-métrages, car ce sont comme des petits bijoux que j’espère ne jamais voir s’éteindre.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
J’ai eu beaucoup de mal à tromper l’ennui pendant le confinement. Pendant cette longue période d’isolement, je me suis rendue compte que ce qu’on appelle « l’ennui » n’est rien d’autre qu’un moment dans notre quotidien où on a le temps de réfléchir à notre vie. C’est aussi une occasion qui nous est offerte d’entreprendre quelque chose de nouveau. Ce que je conseille, c’est d’alimenter votre créativité, ne serait-ce qu’en regardant par la fenêtre pour y découvrir un plaisir artistique qui serait le fruit de votre propre imagination.
Pour voir Accamòra (Maintenant), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I5.