Dîner avec Ainda Restarão Robôs Nas Ruas Do Interior Profundo (Dans la province profonde)
Entretien avec Guilherme Xavier Ribeiro, réalisateur de Ainda Restarão Robôs Nas Ruas Do Interior Profundo (Dans la province profonde)
Pouvez-vous nous en dire plus sur le choix de ce titre ?
Ces quatre dernières années, dans le Brésil profond, nous étions bombardés par des robots de mouvements d’extrême droite, financé par les mêmes agents économiques qui détruisent la nature et tuent les peuples socialement vulnérables. En propageant des fake news, ils ont créé un délire collectif et une surveillance sociale tentant d’étouffer toute forme d’expression de résistance. Ainda Restarão Robôs Nas Ruas Do Interior Profundo (Il restera toujours des robots dans les rues de la province profonde) est un énoncé métaphorique, presque prophétique, pour dire que l’esprit du fascisme restera dans les rues de la campagne brésilienne, même avec le récent retour de la démocratie, et le film essaie de montrer que la classe ouvrière de la jeunesse brésilienne est unie et reste sur ses gardes.
À quel point ce monde marginal vous est-il familier ?
Je suis d’Assis, la petite ville où nous avons produit le film, mais j’ai passé huit ans à São Paulo, où j’étais journaliste musical et m’occupais de la scène hip-hop brésilienne. Ma relation avec ce monde marginal me vient de là. En 2014 je suis venu à Assis pour développer des idées de films et trouver des sujets qui puissent refléter mes vraies racines. C’est là que j’ai découvert le monde invisible des périphéries rurales, les endroits de misère où avaient été poussés des travailleurs de la ferme comme mes ancêtres après la mécanisation de leurs travaux. Nous avons tourné dans un quartier de la périphérie de Santa Clara, le scénariste Daniel Rone habite dans un de ces endroits. Bien que je vienne de la classe moyenne, je fais l’expérience des contradictions du territoire où j’habite, et je me sens connecté à ce monde marginal, à travers mon travail de cinéaste qui se fait l’écho ce qui devrait tenir plus de place dans notre sensibilité en tant que société.
Quels sont, d’après votre expérience, les effets des évènements politiques récents sur des personnages en marge comme ceux-ci ?
Les quatre dernières années ont été très dures pour nous les Brésiliens, et particulièrement pour les marginaux. Notre police était déjà raciste, mais dans cette période les policiers ont eu un président qui a autorisé la violence raciale. Nous formions déjà une société pleine d’inégalités, mais l’année dernière nous avons vu les affamés revenir dans les rues, nous avons vu une dérégulation très agressive du droit du travail, qui a poussé la jeunesse à accepter des boulots précaires sans aucune garantie sociale, ou simplement s’abandonner aux activités criminelles. Aujourd’hui, aux abords des petites villes de province, les types qui sont venus des champs bossent pour les services de livraison de repas comme Ifood ou pour la pègre, et leurs parents travaillent en nettoyant les maisons des riches, ou en leur construisant de nouvelles demeures, ou en veillant sur leur sécurité. Mais ce sont ces marginaux qui ont gagné la dernière élection, pas la classe moyenne, je pense donc que notre conscience de classe s’éveille, et que ce n’est que le début.
Que cherchiez-vous à retranscrire en racontant cette histoire ?
L’endroit où je vis, tout comme une grande partie du Brésil rural n’a jamais eu de production cinématographique auparavant. Donc, en premier lieu, mon équipe et moi nous voulions créer une fenêtre pour que les gens du coin puissent se voir à l’écran, et réfléchir sur leur réalité. Après ça, nous voulions montrer au monde la partie cachée de notre pays, et dire que nous avons beaucoup d’histoires cinématographiques qui n’ont jamais encore été filmées. Nous n’avons besoin que d’opportunités.
Comment avez-vous vécu le tournage des scènes avec la jument ?
Nous avons développé le scénario du film en nous basant sur des histoires vraies du périmètre de Santa Clara. Un jeune homme nommé Luquinha, qui est parti des champs pour venir vivre en périphérie, s’est acheté une jument sur une plateforme d’e-commerce, mais celle-ci prend toujours la tangente. Elle s’appelle Morena, et Luquinha s’en est occupé pendant le tournage. Même pour la scène en centre-ville, Morena est restée calme.
Quelles sont les sujets et les histoires que vous avez envie d’aborder en tant que cinéaste ?
J’ai quitté la grande ville il y a neuf ans pour faire des films en province. Depuis, je suis en quête de récits sur ce monde invisible et ses alentours.
Quel est votre court-métrage de référence ?
Sideral, de Carlos Segundo.
Que représente le festival de Clermont-Ferrand pour vous ?
Au-delà de ma personne, c’est une reconnaissance importante pour tous les amis qui vont à contre-courant et produisent des films de l’intérieur de l’état de São Paulo. Ce film est le résultat d’un processus très collectif. Nous nous sommes organisés en une coopérative audiovisuelle qui rassemble 27 cinéastes et producteurs, l’Oeste Cooperativa Audiovisual, qui gère des projets. C’est notre première fiction, et être en compétition internationale pour le plus grand festival de courts métrages du monde, c’est le signe qu’on est sur la bonne voie. Nous sommes ravis.
Pour voir Ainda Restarão Robôs Nas Ruas Do Interior Profundo (Dans la province profonde), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I1.