Breakfast avec Cataracte
Entretien avec Faustine Crespy et Laetitia de Montalembert, coréalisatrices de Cataracte
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer le personnage de Nicky ? Est-il basé sur une personne de votre connaissance ?
Pour écrire Cataracte, nous nous sommes inspirées de deux personnes de notre entourage, très courageuses et d’un certain âge, sans connaissance informatique, qui ont subi pendant des années des entretiens impersonnels et des contrôles intrusifs à domicile. Ces deux amis ont perdu leurs allocations, ou le seul lien qui les protégeait de la rue. À travers le portrait de Nicky nous avons ainsi voulu nous questionner sur les conséquences des rouages administratifs de notre système social sur le quotidien des personnes les plus isolées.
Comment s’est déroulé le tournage ? (Je pense à Izy…)
Cataracte est un film que nous avons souhaité tourner directement après l’aboutissement du scénario, dans l’énergie de l’écriture, sans passer par les modes de financement classiques du court métrage qui peuvent parfois être longs. C’est donc un film réalisé avec un très petit budget et une équipe réduite : il n’y avait donc pas de dresseur de chien. Izy (de son vrai nom Crapote) est une chienne très âgée qu’on a repérée dans la rue. On a couru après sa maitresse qui nous l’a gentiment confiée. Les tournages avec des animaux peuvent devenir très compliqués, on a eu beaucoup de chance avec Crapote, elle a été très docile et calme. Elle suivait le point lumineux d’un laser, on pouvait l’amener où on voulait pendant les prises, sans faire de bruit !
Qu’aviez-vous cherché à explorer au travers de la relation entre Nicky et Jacques ?
L’idée principale de la relation entre Nicky et Jacques est d’ouvrir sur la nécessité d’un dialogue entre le système et les exclus et de mettre en avant l’importance de maintenir ou de créer du lien social. Le personnage de Jacques évolue dans le film : il incarne d’abord l’employé parfait, à la recherche d’ « indus » pour basculer vers un dialogue plus humain avec une femme qu’il apprend à connaître. On comprend que Jacques est lui aussi victime d’un système. Le seul acte de solidarité ou d’humanité qu’il peut effectuer face à la prise de conscience d’une telle situation est de garder le chien de Nicky. Aussi, le quiproquo qui s’installe entre Jacques et Nicky et dont le spectateur est complice est une situation incongrue, qui permet de traiter avec humour un sujet difficile. L’humour est à notre sens le meilleur prisme pour aborder des sujets graves en faisant prendre une distance nécessaire au spectateur, pour mieux appréhender la réalité dans laquelle il vit.
Comment s’est effectuée la collaboration entre vous ?
Nous nous sommes rencontrées en première année à l’INSAS à Bruxelles. En plus de notre amitié nous avons un lien artistique fort depuis longtemps, nourri par des références et des envies communes, ce qui est nécessaire pour qu’une première coréalisation se passe bien ! Sur le tournage nous avons essayé de nous répartir les rôles, l’une étant plus avec les acteurs et l’autre à l’image, mais nous avons pris les décisions artistiques les plus importantes ensemble. Nous avons beaucoup échangé en amont du tournage pour ne pas perdre de temps sur le plateau et pour que les prises de décisions soient fluides.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquées ?
Le court métrage suédois de Lukas Moodysson, Talk, nous a notamment inspirées. Ce film rend compte de la solitude d’un homme âgé et retraité. C’est un personnage marginal qui cherche désespérément quelqu’un avec qui avoir une « petite conversation » pour s’extirper de sa solitude. Un jour, de manière tout à fait inattendue, une jeune femme membre de Hare Krishna sonne à sa porte à la recherche de nouvelles recrues. Leurs objectifs diffèrent et la rencontre tourne mal… La structure du film est simple et le ton est tragique et drôle à la fois. La situation et la caractérisation des personnages nous font osciller entre malaise, rire et empathie. La fin est percutante et laisse une forte impression.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Au-delà d’une bonne histoire, nous sommes sensibles à des films qui expriment une certaine forme de nécessité de la part du cinéaste. Ça a l’air abstrait dit comme ça, mais l’énergie d’un film n’est, selon nous, pas seulement portée par une bonne écriture ou une direction d’acteurs maîtrisée. Quand le film exprime un point de vue singulier que le cinéaste avait viscéralement besoin de mettre en scène dans son œuvre, ça se ressent chez le public. On s’attache alors même aux imperfections pour se laisser porter…
Pour voir Cataracte, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F4.