Goûter avec L’Huile et le Fer
Entretien avec Pierre Schlesser, réalisateur de L’Huile et le Fer
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport aux bruits des machines et aux mouvements des gestes qui sont à l’image dans L’Huile et le Fer ?
Je voulais en premier lieu traiter de l’épuisement des corps par le labeur. Je me suis donc attardé sur des gestes répétitifs qui usent. Et puis, je crois que c’est le philosophe Giorgio Agamben qui dit du cinéma que c’est « la patrie du geste », je trouve cette idée très belle. Tous ces gestes de travail manuel qui parcourent le film me sont familiers mais je les ai rarement vus au cinéma, alors je les ai filmés pour les faire entrer dans la patrie du geste, pour les célébrer et les archiver. Quant à la bande son, nous avons travaillé à partir de machines et de moteurs qui produisent un son très rythmique et presque toujours dans le même tempo. Ce rythme est celui des cadences infernales qu’imposent ces machines mais il m’évoquait celui d’un battement de cœur ou d’un projecteur de cinéma analogique. Nous avons donc abordé la bande son en travaillant sur les correspondances qui peuvent se faire entre des sons réalistes et l’imaginaire qu’ils peuvent susciter. Nous avons ainsi tenté de créer une sorte de chant de machines qui invite le spectateur à entrer dans un état de méditation.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait d’afficher votre texte à l’écran plutôt que de le faire dire par une voix off ?
C’est un film de deuil où j’évoque le décès de mon père, j’aurais trouvé presque impudique que le texte soit dit. Je voulais qu’il y ait dans le film une dimension de recueillement et pour cela, il fallait que le film soit muet mais pas silencieux. C’était une manière d’exprimer le poids de plusieurs silences, celui qu’a laissé mon père après sa mort et mon propre silence à son enterrement. Et puis, en parallèle de mon activité de cinéaste, j’écris de la poésie. Le travail de l’image et celui du texte sont donc extrêmement liés pour moi. Pour ce film, j’ai essayé de travailler le texte pour qu’il puisse lui aussi produire des images au même titre que les plans.
Où avez-vous tourné et comment avez-vous organisé le tournage des prises de vue ?
J’ai tourné en Moselle, dans l’est de la France. C’est là que j’ai grandi et où réside ma famille. Pour moi c’est presque vital de filmer là-bas, c’est un moyen d’entretenir un lien avec ce territoire de mon enfance et mon milieu d’origine. Les prises de vue se sont étalées sur plusieurs années. Je filmais au grès de mes séjours dans ma famille. Le film ne s’est pas fait de manière linéaire, je filmais, puis montais, puis écrivais et puis je repartais filmer. La fabrication du film s’est étalée sur trois ans environ.
Envisagez-vous de réaliser d’autres films sur l’univers ouvrier et artisanal ? Quels sont vos prochains projets cinématographiques ?
J’ai plusieurs projets de film, pour l’instant je réfléchis à celui sur lequel je vais me concentrer en priorité mais ce qui est sûr c’est que je veux continuer à filmer ce monde où j’ai grandi, cette campagne lorraine relativement reculée et désœuvrée. Je considère que j’ai une dette envers cet endroit et les gens qui le peuplent et je veux continuer à les filmer.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Je crois qu’un des courts métrages que j’ai le plus vu et qui m’a le plus influencé est L’Amour existe de Maurice Pialat. C’est un très beau film sur la banlieue parisienne alors en pleine transformation au début des années soixante. Le montage est très puissant, construit autour d’une voix-off mêlant des souvenirs d’enfance à des images du présent du tournage.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
C’est une question très compliquée, il faudrait déjà définir ce qu’est un bon film et sur ce point je n’ai pas de réponse arrêtée. Une des choses importantes pour moi comme spectateur c’est de voir une sincérité et une singularité prendre corps à l’écran, de sentir que la personne qui fait le film en éprouve une véritable nécessité.
Pour voir L’Huile et le Fer, rendez-vous aux séances de la compétition labo L4.