Lunch avec Man or Tree (Homme ou arbre)
Entretien avec Varun Raman et Tom Hancock, coréalisateurs de Man or Tree (Homme ou arbre)
Comment vous est venue l’idée de Man or Tree ?
Nous nous sommes inspirés d’une histoire vraie, l’expérience vécue par un ami qui a fait un trip intense sous Salvia et était persuadé d’avoir vécu la vie d’un arbre pendant des centaines d’années. Jusqu’à la fin du trip, il cherchait à tirer ses racines hors de terre, pour se retrouver debout, dégrisé d’un coup, à se rendre compte qu’il n’est qu’un homme dans une salle avec ses amis, après un mauvais trip sous Salvia qui n’a en fait duré que quelques minutes. Le personnage de Rick est aussi basé sur un ami auquel Varun reproche d’être à l’origine du pire bad trip qu’il ait jamais fait. On ne sais pas s’il verra un jour le film. On l’espère, parce que ça voudrait dire qu’au moins il est toujours vivant !
Est-ce qu’on peut considérer Man or Tree comme une sorte d’expérience de paralysie du sommeil ? Qu’est-ce qui a concentré votre attention sur la perte des capacités motrices ?
L’idée d’un homme qui prend des hallucinogènes et se perçoit comme un arbre fait parfaitement écho à une pratique de la paralysie du sommeil. Les deux ont beaucoup un commun, implicitement. Si c’est l’interprétation de quelqu’un, on n’ira pas la contredire : la perte des capacités motrices s’applique aux deux expériences, alors pourquoi pas ! C’est aussi un moment adéquat pour traiter de ça, si l’on considère les frustrations qu’on a pu tous ressentir ces dernières années, confinés, déconfinés, puis reconfinés… Quand les liens humains se restreignent, c’est facile d’avoir l’impression de faire partie du paysage et que la vie nous file entre les doigts.
Comment avez-vous fait le choix des arbres ?
On a parti en repérage dans tout le nord-ouest du pays, Tom en particulier a étendu les recherches dans un large périmètre autour du Cheshire et du Staffordshire. L’arbre devait contenir quelques éléments permettant de réaliser les effets graphiques que nous recherchions. D’abord, il devait avoir une allure comique et sembler seul, à l’écart. Il lui fallait encore un point de vue en hauteur pour réaliser le plan large en plongée, et aussi des arbres autour pour la cohérence spatiale entre le personnage et les seconds rôles. Lorsqu’on fait un film, on trouve rarement l’endroit idéal, et on n’a jamais un temps illimité pour boucler intégralement la production. Il nous fallait tourner avant la fin de l’été, et ce qu’on a trouvé était le plus proche de ce qu’on avait en tête. On tiré le meilleur des qualités intrinsèques du lieu, en prenant un soin particulier aux cadrages et mouvements de caméra qui pourraient fonctionner dans ces limites.
Est-ce que vous avez laissé une part d’improvisation dans les dialogues ? Vous êtes-vous inspirés d’un dialogue réel entre vous ?
Le dialogue a constamment été révisé et modifié au cours de la production. Le scénario de départ comportait les premières versions des dialogues et du storyboard, qui allaient déterminer de quelles images de l’arbre et du lieu on aurait besoin. On a aussi enregistré ce premier jet avec l’acteur Daniel Campbell pour nous aider à mettre en place le tournage au point de vue rythmique. Le tournage terminé, on a ajouté des sous-titres au montage d’ensemble initial pour faciliter le découpage et régler plus en détails les répliques et l’intrigue qui s’y intègreraient. C’est alors qu’on a réenregistré le dialogue mis à jour avec Daniel Campbell et Michael Shon à partir de ce montage sous-titré. Nous avions des répliques et des idées spécifiques en tête, mais voulions aussi laisser la place pour les modifier et improviser à notre guise, les acteurs et nous. Si les mots ne collent pas et que de meilleures idées germent dans le processus, autant encourager l’improvisation pour obtenir les prestations les plus sincères. Un film évolue constamment, jusqu’au bouclage définitif du montage. Même si c’est inspiré d’une histoire vraie, ces conversations n’ont jamais eu lieu mot pour mot dans la vraie vie. On a créé ces personnages avec les acteurs, sans se préoccuper plus que ça de recréer ceux qui les avaient inspirés.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqués ?
C’est tellement dur de n’en choisir qu’un, mais celui qui nous reste à l’esprit est un film de 1999 : Atomic Tabasco de James Cox. Il témoigne bien des quelques années qui ont suivi Pulp Fiction, avec son obsession pour les récits post-modernes et non-linéaires. Pourtant, le film tient toujours aujourd’hui. Anarchique par son côté anecdotique et dispersé, il dispense un point de vue parfaitement cohérent et original sur le langage et la (mauvaise) communication. Un film qui déborde de personnalité et qui transpire le chaos, et reste pourtant inébranlable dans son maintien d’un récit brillamment structuré.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
La personnalité et la structure. Arriver à transposer sa propre personnalité, son point de vue, son sens de l’humour et ses obsessions personnelles dans le domaine esthétique, c’est de cela qu’il s’agit dans le fait de faire un film. Sans ça, un film n’est plus qu’un produit commercial. Et ne faire rien d’autre que défendre un point de vue idéologique déjà approuvé, et discuté ad nauseum sur les réseaux sociaux par un tas de personnes, ça ne me paraît être qu’une occasion gâchée. La création cinématographique doit être une découverte et le point de départ de discussions qu’on cherche à éviter. On ne devrait pas avoir peur de provoquer et de permettre aux gens de voir et de ressentir les choses différemment. Et sans la structure, sans la compréhension des bases du langage cinématographique, ni la conscience des raisons qu’on a de briser certaines règles, une vision personnelle sera vite exposée à sombrer dans l’auto-complaisance, et à ne faire écho à quasi personne, sinon quelques critiques et universitaires. Il est vital de trouver l’équilibre entre les contingences de l’art et du commerce. C’est ce qu’arrive à faire un bon film au final.
Pour voir Man or Tree(Homme ou arbre), rendez-vous aux séances de la compétition labo L4.