Dîner avec O Que resta (Ce qui reste)
Entretien avec Daniel Soares, réalisateur d’O Que resta (Ce qui reste)
D’où vous est venue l’idée d’O Que resta ?
Je suis né en Allemagne mais ma famille est portugaise. Je me souviens avoir passé tous mes étés chez mes grands-parents fermiers, dans un petit village de la campagne du Portugal. C’était un lieu plein de vie, mais avec le temps, il y a aussi de plus en plus de gens qui ont émigré dans d’autres pays d’Europe, dans l’espoir d’une vie meilleure. Le village qui abritait auparavant des centaines d’habitants se réduit à présent à quelques dizaines de fermiers vieillissants livrés à eux-mêmes. Je savais que je voulais tourner ici et capter l’essence du lieu. Emilio, le personnage de l’histoire, vit dans une réalité qu’il ne reconnaît plus. La ferme d’élevage florissante dont il était jadis le fier propriétaire s’efface désormais sous les murs lézardés et l’herbe envahissante. Il voit la nature reprendre doucement ses droits sur l’œuvre de sa vie négligée par les humains.
Comment se sont passés la distribution et la direction d’acteurs ?
Presqu’aucun de ceux qu’on a choisis n’avait déjà joué, et pour tous, la sélection s’est faite dans ce secteur du pays. On a trouvé certaines personnes dans les rues, d’autres dans les bistrots du coin. Travailler avec cette équipe, et notamment avec Carlos Cairrão, a été une des expériences les plus satisfaisantes du tournage. Il n’avait jamais été acteur mais, comme il fait partie du groupe folklorique local, il comprenait ses responsabilités, et par exemple, la nécessité de faire des répétitions. Au bout du troisième jour il a commencé de lui-même à proposer des idées pour son personnage. Le plus difficile a été de choisir le bélier. Dans le scénario originel ça devait être un cochon, mais on s’est vite rendu compte que les cochons sont vraiment difficiles à contrôler, à plus forte raison dans un véhicule en mouvement. Donc, après deux semaines de recherche, nous avons fini par embaucher le bélier. Je pense que nous avons bien fait.
Dans le film, le silence semble avoir plus d’importance que les dialogues. Quelles sont les difficultés de cette façon de filmer, en montrant les choses plutôt qu’en les disant ?
Il y a peut-être trop peu de dialogues, mais une écoute attentive révèle beaucoup de sons qui traversent le silence. J’ai passé beaucoup de temps avec le designer sonore Miguel Martins à confectionner la bande son, et celle-ci regorge de détails et de nuances. Mais je comprends la question, dans la mesure où ce qui m’intéresse dans le cinéma c’est avant tout le langage visuel, qui permet d’exprimer beaucoup sans utiliser les mots. J’aime les films qui ne mâchent pas le travail au spectateur, qui le mettent en position de synthétiser ce qu’il voit, et surtout, de ressentir. Ressentir les lieux et les situations tels qu’ils apparaissent à l’écran. J’ai ressenti le besoin de beaucoup de silence pour ce film, car le personnage principal lui-même n’est pas très bavard. Il donne son rythme à l’œuvre par sa présence. Ses yeux seuls en disent beaucoup.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Au festival de Telluride (Colorado), j’ai vu un court nommé Motorcyclist’s Happiness Won’t Fit Into His Suit qui m’a vraiment fasciné. Le réalisateur est mexicain, il s’appelle Gabriel Herrera. C’est très difficile à décrire, ça m’a transporté dans des endroits inconnus pour moi jusqu’alors. Un autre qui me reste en mémoire, c’est Gasman de Lynne Ramsay. Plus que le scénario, c’est la réalisation que j’ai adorée. La manière dont chaque seconde filmée révèle une intention claire. Et aussi le cadrage époustouflant.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Un bon film laisse de la place pour l’interprétation. Il reste en tête longtemps après la scène finale. Parfois, il peut arriver de ne pas l’apprécier au moment de le regarder, mais son souvenir nous revient pendant des semaines et on y revient toujours. Un bon film se connecte à notre subconscient et on devient, autant que spectateur, partie prenante de sa création.
Pour voir O Que resta (Ce qui reste), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I13.