Dernier verre avec The Headhunter’s Daughter (La Fille du chasseur de têtes)
Entretien avec Don Josephus Raphael Eblahan, réalisateur de The Headhunter’s Daughter (La Fille du chasseur de têtes)
Pouvez-vous nous parler de vos influences et de la genèse de The Headhunter’s Daughter ? Qu’est-ce qui vous a inspiré le personnage principal ?
Mon influence principale pour The Headhunter’s Daughter, c’est le paysage culturel de là où je suis né, à La Trinidad, province de Benguet, région de la Cordillère aux Philippines. Peuplée par diverses tribus nordiques, les Igorots, la région qui a pourtant résisté pendant 333 ans à la colonisation espagnole, a fini par céder à l’influence massive de l’occupation américaine. Cette américanisation a développé un sens tout particulier de l’assimilation culturelle pour beaucoup d’Igorots, qui adoptent à présent ce type d’esthétique néo-western, à base de cow-boys, qui nourrit le plus gros de la culture contemporaine de la Cordillère. En dépit de la domination des gargotes éclairées au néon et des ados en virée équestre, l’identité indigène résistante imprègne toujours la région, et ça m’a poussé à façonner ce personnage qui sillonne la ligne étroite du choc culturel en cherchant à tracer sa voie dans ce monde postcolonial en mutation. Au cours de l’écriture, l’actrice principale, Ammin Acha-ur, nous a également donné des idées quant à la manière d’évoluer du personnage. Son jeu reflète la ressemblance entre son rôle et sa vie de tous les jours en tant que provinciale indigène qui débarque en ville pour y devenir tatoueuse et danseuse. La manière dont elle a incarné le rôle de Lynn nous a inspiré de nombreuses réécritures et une évolution constante pour en arriver à la conclusion actuelle de l’histoire.
Je crois que vous avez enregistré le son du vent. Cela crée une bande sonore très forte et suggestive. Vous pouvez nous en dire plus sur ce choix ?
Depuis le début, le vent faisait partie de mon scénario, à l’origine comme un moyen de donner une tonalité et de ponctuer certains moments de l’histoire. Nos lieux de tournage devaient aussi composer avec la puissance du vent, qui nous a dicté la manière dont je devais tenir la caméra, les pauses de l’équipe, les mouvements du cheval, et la posture d’Ammin. Il y a eu une si étroite et si constante collaboration entre le vent et tous les membres de l’équipe pendant le tournage qu’il nous a semblé important de l’inclure en post-production. Avec le concepteur sonore Henry Hawks, on a exploité le vent comme outil de multiples façons, en utilisant notamment ses qualités musicales, son grain sonore, pour donner son rythme au scénario et pour poser cette ambiance cosmique qui domine l’ensemble. Que le vent soit présent dans toutes les étapes, de l’écriture au tournage et aux traitements finaux, c’était capital pour notre histoire.
Comment avez-vous rencontré l’actrice et chanteuse Acha-ur Ammin ? Est-ce une chanteuse professionnelle, et si oui, peut-on trouver ses chansons en ligne ?
Ammin Acha-ur est une tatoueuse mambabatok de la tribu Butbut du Kalinga, et c’est aussi une interprète et chanteuse. Au départ, je l’ai trouvée sur une vidéo Facebook qui est apparue sur mon fil. Elle chantait dans une fête culturelle en extérieur, avec une fougue et une passion inouïe. Je me suis mis en tête d’arrêter les castings, de renoncer aux auditions et d’aller immédiatement la rencontrer pour lui parler du scénario. Elle brille de tant de talents, je suis très heureux d’avoir pu travailler avec elle ! On peut trouver sa musique sur sa page Facebook Ammin Acha-Ur, où elle diffuse généralement des versions acoustiques en solo de ses compositions et de ses reprises. Elle y poste aussi ses tatouages.
Ce n’est pas votre première fois à Clermont. Qu’est-ce que vous attendez du festival cette année ? Quel rôle les festivals ont-ils joué dans votre vie jusqu’à maintenant ?
Ah oui, je suis incroyablement honoré de revenir cette année, d’autant que le festival s’est déjà avéré être pour moi une formidable occasion d’apprendre l’an dernier. Cette fois, nous revenons avec une nouvelle façon de voir les choses, et plus de désir de voir des films géniaux, de rencontrer des cinéastes géniaux, et de tirer des enseignements de plein de points de vue internationaux, d’artistes du monde entier. Les festivals de cinéma sont une belle façon de se rappeler avec humilité le monde du cinéma, les gens, le public, et tous ces univers à travers les films.
Y a-t-il un film qui vous a particulièrement marqué ?
Il y avait tellement de films extraordinaires l’an dernier, The Cloud Is Still There de Mickey Lai, I Am Afraid to Forget Your Face de Sameh Alaa, Nesting de Siiri Halko, Escaping the Fragile Planet de Thanasis Tsimpinis, Angh de Theja Rio, Binh de Ostin Fam, et Mat et les Gravitantes de Pauline Penichout. Tous ces films m’ont laissé une sensation d’émerveillement et ont m’ont rempli l’âme, comme seul le bon cinéma sait le faire !
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Personnellement, j’aime les œuvres où d’une manière ou d’une autre, je ressens de l’empathie, ou du moins je me rapproche de la compréhension vis-à-vis du sentiment viscéral qui a poussé le cinéaste à faire certains choix créatifs dans ses films. Ça n’a pas besoin d’être profond, personnel, ou de toucher au cœur, ça peut être simplement quelque chose d’honnête, qui puisse bousculer mes idées préconçues en matière de création cinématographique. C’est excitant de voir des cinéastes faire pleinement résonner leurs voix à travers leurs films, d’assister à une scène qui déborde de leur propre énergie créative inimitable. Des films dont les auteurs ont pu secouer ma compréhension du cinéma de façons inédites jusqu’alors, voilà ce que sont généralement de bons films pour moi !
Pour voir The Headhunter’s Daughter (La Fille du chasseur de têtes), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I3.