Dîner avec Trumpets in the Sky (Les Échos du ciel)
Entretien avec Rakan Mayasi, réalisateur de Trumpets in the Sky (Les Échos du ciel)
Le personnage de Boushra est-il inspiré de quelqu’un que vous connaissez ?
Le personnage de Boushra, si on parle strictement de la construction du personnage, n’est inspiré de personne. Sa destinée, en revanche, l’idée de subir un mariage forcé à 14 ans, est inspirée de l’histoire de ma grand-mère. Ma grand-mère a été obligée de se marier à 14 ans : elle est née et a grandi à Tripoli, une ville du nord du Liban, et c’était au milieu des années 1950. L’idée de travailler avec Boushra était de lui faire vivre la même situation que ma grand-mère, de lui faire partager le même sort, car dans ce groupe de travailleurs agricoles (pour la plupart des Syriens de la plaine de la Bekaa), le sujet du mariage des mineur-e-s est très banal. Le film est par conséquent une ethnofiction, ce qui veut dire que j’ai travaillé avec des personnes qui ne sont pas des acteurs et qui restent eux-mêmes devant la caméra, dans la région où ils vivent.
Quel est votre degré de connaissance du sort des réfugiés syriens qui travaillent dans ces exploitations libanaises ? Quel genre de recherches avez-vous effectuées ?
Je connais très bien ce groupe de ramasseurs de légumes syriens (des ramasseurs de pommes de terre, dans le cas de ce film) ; tous ne sont pas des réfugiés. La cueillette de pomme de terre est une tâche dont les Syriens se chargent parce que les Libanais ne le font pas. Certains d’entre eux sont des réfugiés qui ont fui la guerre en Syrie, alors que d’autres sont des migrants saisonniers, la plupart originaires de Hassaké, qui travaillent dans les champs du nord (district du Akkar), puis qui migrent vers la plaine de la Bekaa quand la saison là-bas se termine. C’est toute une mécanique bien huilée. La première fois que j’ai vu des jeunes filles rentrer du travail, assises les unes sur les autres dans un camion, c’était lors d’une sortie camping que j’ai faite il y a plusieurs années : elles m’ont regardé comme si je venais d’une autre planète ; leur regard m’a happé. J’ai par la suite demandé à des amis (des amis du Akkar) de venir m’aider à repérer des lieux dans le cadre de mes recherches et c’est là que j’ai découvert comment fonctionnait le système. C’est un système très patriarcal qui repose évidemment beaucoup sur le travail des enfants, et majoritairement des jeunes filles. Ils et elles sont payées à la journée et leur journée de travail va de cinq heures du matin à quatre heures de l’après-midi. C’est horrible. Celles et ceux qui sont affiliés à un « warsheh » (un groupe de travailleurs ou chantier) autrement appelé un « atelier des champs ») vivent dans un camp. On peut voir des logos de l’UNHCR sur quelques-unes des tentes, mais ça ne veut pas dire que les occupant·e·s sont des réfugié·e·s.
Comment s’est passé le tournage ? Tous les participants étaient-ils partants ? Dans quelles conditions avez-vous fait ce tournage ?
C’était un tournage très intéressant. Je pense, en effet, que toute l’équipe, qui sont en réalité de bons amis à moi, a passé un bon moment. Il y avait de la magie dans l’air. Nous n’avions pas de scénario rédigé, rien qu’un papier avec quelques intitulés de scènes. Nous avons tourné dès la fin du premier confinement. Le Liban commençait à sombrer dans l’abîme, alors nous ressentions tous le besoin de créer, de bouger, de collaborer, de nous amuser… Les repérages, le processus de casting, le travail de préparation avec les ramasseurs, le tournage, tout a été fait en trois semaines.
Pouvez-vous nous parler du rôle de la danse et de la musique, ainsi que de votre choix de leur donner toute la place au détriment des dialogues ?
J’ai choisi de faire un film sans dialogues premièrement parce que je voulais avant tout faire un poème cinématographique (la poésie visuelle prime). Et deuxièmement, parce que dans l’univers créé dans le film, je ne ressentais aucun besoin de verbalisation. Je me suis concentré sur les métaphores à chaque scène. C’était mon intention et mon approche : de mettre le récit au second plan et d’aller chercher les métaphores au premier plan. La musique est fondamentale dans le film : sa présence est devenue une sorte de personnage, une force de l’extérieur qui nous entraîne dans une transcendance. La danse est le rituel et la célébration du mariage, où l’on voit les hommes danser les uns avec les autres, pour fêter le mariage de leur fille encore enfant. Je voyais cela comme une sorte de sacrifice (religieux, traditionnel, économique, etc).
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Oui, un court métrage intitulé The Lunch Date : un film en noir et blanc, ambiance jazz, tourné à New York au début des années 1990. C’est un film qui traite du racisme inconscient d’une manière très subtile ; vraiment très intelligent.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Il faut qu’il soit cohérent dans son concept, authentique et honnête, et ne pas avoir peur d’explorer de nouveaux territoires et de se rebeller.
Pour voir Trumpets in the Sky(Les Échos du ciel), rendez-vous aux séances de la compétition nationale F3.