Breakfast avec Jeudi, vendredi, samedi
Entretien avec Arthur Cahn, réalisateur de Jeudi, vendredi, samedi
La relation entre Romain et Adémar est très touchante. D’où vous est venue l’idée de cette amitié entre les deux collègues ?
J’ai toujours été intéressé par la manière dont des artistes adultes convoquent leur sensibilité d’enfant pour s’adresser à la jeunesse. Je suis une personne qui a besoin de beaucoup douceur et j’aime lire des livres illustrés. Il y a quelques années je suis tombé sur un article de la fille d’Arnold Lobel qui parlait du travail de son défunt père et comment sa collection d’histoires pour enfants Toad and Frog lui avait permis d’explorer sans rien en dire son homosexualité secrète. Ce qui est très délicat dans Toad and Frog et que j’ai eu envie de retranscrire dans mon film, c’est que l’amour entre eux ne porte aucun label, on est libre d’y voir de l’amitié ou un sentiment amoureux. Aujourd’hui il y a une tendance à vouloir punaiser avec les mots tout ce qui nous constitue. Je trouvais beau l’idée d’un sentiment qui se passe d’étiquette.
Pourquoi avoir choisi l’incendie à l’usine comme point de départ ?
Dans Toad and Frog, les protagonistes n’ont pas d’emploi. Ce monde sans travail m’apparait très rassurant et plein de possibles. J’avais envie que mon film constitue une ode à l’oisiveté. Il débute donc avec la fin du travail dont l’usine est un symbole. Le feu qui l’envahit est mystérieux, on ne sait pas pourquoi soudain la machine se met à fumer. Il détient quelque chose d’un peu poétique ou symbolique même, c’est le feu d’un désir qui se propage. J’aime me raconter des histoires qui ne sont pas visibles dans le film que je réalise mais qui tracent des lignes directrices pour la mise en scène et la construction du personnage. Ainsi nous nous sommes souvent raconté sur le plateau que Romain avait causé l’incendie pour pouvoir passer du temps avec Adémar. Je me suis également raconté que l’escargot au début du film était magiquement responsable de l’incendie : il arrive jusqu’à l’usine pour lui jeter un sort et en libérer les deux amis. Ce genre de fictions immergées comme le dessous de l’iceberg m’aident à créer.
Dites-nous en plus sur vos choix cinématographiques. (Dessins, coupure de l’histoire en trois jours…)
Le découpage en chapitre rappelle l’origine littéraire de mon inspiration. J’aime l’idée que chaque jour possède sa petite péripétie. Pour les cartons qui séparent ces trois segments, nous avons travaillé avec un graphiste, Vincent Defosse. Je lui ai fait part de mes inspirations (que j’avais déjà partagées avec le chef opérateur, Benjamin Rufi, et la chef décoratrice, Pauline Alcala) : non seulement Arnold Lobel mais aussi les illustrations de Maurice Sendak, d’Ernest H. Shepard, les livres de Beatrix Potter et aussi la série animée Beyond the Garden Wall qui réactualise ce style un peu naïf et désuet. Vincent a eu la très belle idée d’écrire ces cartons sur le dos d’enveloppes qui annoncent le fameux courrier qu’Adémar attend depuis le début du film. Une autre inspiration qui m’a amené à filmer la nature et les animaux autour de nos deux protagonistes est Le Conte de la princesse Kaguya qui est parsemé d’inserts de la faune, de la flore, des saisons qui passent. Je trouvais important que dans Jeudi, vendredi, samedi, on prenne aussi le soin de filmer un temps non-humain.
Comment s’est déroulé le casting ?
Le film a reçu un premier financement rapidement. J’avais écrit dans mon coin pour me faire plaisir et m’apporter de la douceur. Quand j’ai compris qu’il allait se faire, je me suis demandé comment moi, issu d’une bourgeoisie urbaine, pouvais me permettre de mettre en scène deux protagonistes ouvriers et ruraux. Il fallait injecter d’autres sensibilités que la mienne, d’autres réalités. Il fallait prendre des « vraies personnes », on ne pouvait pas déréaliser à ce point le contexte. Donc j’ai cherché des acteurs non professionnels, je voulais la réalité d’un corps qui a connu le travail et filmer cette beauté-là, une autre beauté, moins formatée, moins habituée des grands écrans. Pour Romain : j’étais à une grande réunion familiale et soudain, j’ai vu mon cousin, Quentin Fébié, qui est ouvrier en bâtiment, j’ai vu à quel point il était solaire. Je me suis dit « c’est lui » ! Il n’avait jamais joué mais je savais qu’il serait incroyable. Quand il m’a appelé pour me dire s’il acceptait ou non de jouer dans le film, j’étais aussi stressé que si j’avais attendu un appel d’Isabelle Huppert ! Pour moi il était devenu évident que je ne ferais pas le film sans lui. Pour Adémar cela a été plus long. Il était décrit comme un homme très rond. Donc nous avons fait un grand casting sauvage mais on ne trouvait pas le personnage. Un jour dans le métro, je me suis dit qu’il fallait penser au-delà de la description et j’ai pensé à Pierre-François Doireau que je connaissais de vue, qui est acteur de théâtre. Adémar devait être embarrassé par sa rondeur, il se trouve que Pierre-François n’est pas rond mais possède une infirmité au niveau des jambes qui participe à ce qu’on comprend du personnage. Et Pierre-François est roux aux yeux bleus aussi -ce qui me plait, je suis roux moi-même- chromatiquement il se passe un truc intéressant quand on met de la rousseur à l’écran ! Nous avons donc fait des essais avec Quentin et Pierre-François et le duo était vraiment touchant, il y avait tout de suite une histoire entre eux. C’était aussi la première fois devant la caméra pour Pierre-François. Lui venant du théâtre et Quentin venant du bâtiment, ils demandaient deux approches différentes, il fallait parler deux langages mais on s’en est sorti. Pour les jeunes aux lacs, c’est un peu la même chose : Claïna Clavaron vient du théâtre, elle est tout à fait bluffante, la caméra l’aime, j’adore la voir à l’écran. Et ses deux comparses Fama Koita et Komett Boussamba n’avaient pas d’expérience encore. Tout ce travail a été fait avec l’aide Sophie Thurin.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Oui, comme on parle beaucoup d’enfance, je citerai Le Ballon rouge de Lamorisse et aussi Le Bonhomme de neige de Diane Jackson d’après le livre éponyme de Raymond Briggs. C’est magnifique, le travail graphique est sublime, tout est fait au crayon pastel. Mais c’est un film beaucoup trop triste pour que je le revoie, il me fait trop pleurer.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
De l’amour.
Pour voir Jeudi, vendredi, samedi, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F12.