Dîner avec La Marche de Paris à Brest
Entretien avec Vincent Le Port, réalisateur de La Marche de Paris à Brest
Qu’est-ce qui vous a amené à donner au film un effet « à l’ancienne », le rapprochant de La Marche de Munich à Berlin d’Oskar Fischinger qui vous a inspiré, avec ce montage de toutes petites séquences et parsemé de coupes blanches ?
J’ai fait de nombreux essais avant de partir en tournage, en numérique et en pellicule, en couleur et en noir et blanc, et j’ai finalement opté pour le Super 8 et le noir et blanc car c’était selon moi le meilleur support pour transmettre ce sentiment mêlé d’éphémère et d’épiphanie. Le Super 8 permettait aussi de rendre le film assez intemporel, comme si on était à la fois dans le présent et le souvenir, et comme c’est aussi un film sur le temps et la mémoire, en même temps qu’un hommage, cela me semblait adéquat. Et puis je tenais à tourner en image par image afin d’avoir un rapport moins passif à ce que je filmais, afin de pouvoir faire des plans très courts, de l’ordre de trois ou quatre images, mais aussi pour adapter la cadence de prise de vue aux éléments que je filmais ou à mon ressenti. La caméra que j’ai trouvée me permettait cela, et décider soi-même de la vitesse de défilement de la pellicule, c’est extrêmement jouissif. Cela rejoignait sans doute l’idée de choisir mon chemin, d’avancer à mon propre rythme, plutôt que de suivre les sentiers battus. Quant au montage, le film est en partie tourné-monté, y compris les coupes blanches qui ont été faites au tournage en exposant la pellicule à l’air libre après chaque prise de vue. Le montage a d’abord constitué à retrancher des blocs entiers : je suis parti avec cinq bobines (environ 12 minutes), et je n’ai gardé que la moitié de ce que j’ai filmé. Puis j’ai tâché de travailler le rythme global du film, fait d’accélérations et de courts moments de répit, dans une approche assez musicale en fin de compte. L’idée était de maintenir un équilibre entre la frustration (celle de ne pas tout voir, ou de ne pas voir assez) et une forme de lâcher-prise.
Pourquoi avoir choisi la route entre Paris et Brest plutôt qu’une autre ? Avez-vous une anecdote ou une rencontre particulière à partager avec nous ?
Originaire de Bretagne, j’ai très souvent effectué ce trajet, en train ou en voiture, et j’avais envie de le redécouvrir par les chemins de traverse. Prendre le temps de parcourir les plaines et les collines que l’on aperçoit par la fenêtre du train, découvrir les villages dont on ne connaît que les noms sur les panneaux au bord de la route. Que le paysage cesse d’être une image qui défile derrière une vitre, mais éprouver physiquement, et dans le temps, ce que c’est que de le traverser. J’aimais aussi bien l’idée que ce trajet, Paris – Brest, est quelque chose qu’on visualise facilement sur une carte. On imagine facilement la distance et la durée que cela représente, et le fait qu’arrivé à destination, impossible de continuer plus loin à pied !
Comment avez-vous construit la bande son ?
Une fois décidé que contrairement au film d’Oskar Fischinger le mien ne serait pas silencieux, j’ai vite compris, pour diverses raisons, qu’une musique était la seule option envisageable pour permettre de voir les images malgré le caractère frénétique du montage, mais aussi pour donner la sensation d’un flux continu plutôt que d’un voyage constitué de trente étapes distinctes (d’où aussi le choix de plans fixes et sur pied). J’ai cherché une musique qui puisse se situer quelque part entre la transe et l’élégie, une musique qui pourrait être elle aussi assez intemporelle, et j’ai fini par choisir le morceau de Mind Over Mirrors qu’on entend dans le film.
À quel point êtes-vous intéressé par l’univers rural et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur cette thématique ?
Je ne sais pas si c’est vraiment une thématique, mais à partir du moment où l’on décide de s’écarter de la ligne TGV ou de l’autoroute et de marcher à pied, forcément on filme le monde rural. Et puis il ne faut pas oublier que la majorité de la France est rurale – pas en termes de population mais de territoire. Quand on marche, on s’en rend bien compte. En tout cas, il y a des villes dans le film, et des traces de modernité, des routes, des tracteurs, des lignes à haute tension, des tours hertziennes, des éoliennes, etc., mais peut-être que ce qu’on retient c’est ce qui nous paraît immuable ou tout du moins un peu moins passager que le reste, ce qui nous relie au passé. Et au final, ce qui était là il y a un siècle et sera encore là dans un siècle se trouve notamment dans ce que vous appelez « l’univers rural » : les arbres, les nuages, les feuilles, les animaux, les humains…
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
En premier lieu La Marche de Munich à Berlin d’Oskar Fischinger, mais cela va de soi ! Il y en a beaucoup d’autres sinon. Pour faire court je vais n’en citer que deux récents : Dans l’œil du chien de Laure Portier (implacable, bouleversant) et Le Gang des DS d’Antoine Garrec (foutraque, hilarant).
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Kodak.
Pour voir La Marche de Paris à Brest, rendez-vous aux séances de la compétition labo L5.