Lunch avec Will You Look at Me
Entretien avec Shuli Huang, réalisateur de Will You Look at Me
Comment vous est venue l’inspiration pour Will you Look at Me ? Avez-vous tourné une grande partie des images spécialement ? Avez-vous élaboré le monologue avant ou après la sélection des images ?
Lorsque je suis rentré en Chine de New York pendant la pandémie, je me suis acheté une caméra Super-8. Je la prenais partout où j’allais, je filmais les gens autour de moi sans intention précise en tête. Le tournage des images a pris presque un an, avec des pauses. Je vivais en nomade, voyageant d’une ville à l’autre, d’un tournage à l’autre, entre Pékin, Shanghai et ma ville natale, Wenzhou. Après quelques mois d’absence, c’était toujours agréable de rentrer dans cette ville. De me replonger dans le quotidien de mes parents et de faire tourner la caméra, puis de repartir en vadrouille pour un temps et de faire développer les pellicules au labo à Pékin, avant de les numériser. Ensuite, je revenais séjourner dans ma ville natale. C’est ainsi que le film a pris forme, petit à petit. Lors du Nouvel An chinois en 2021, ma mère et moi avons eu une conversation inattendue qui a fait basculer le récit du film. C’était la première fois que nous passions du temps tous les deux après une longue absence, d’autant plus que j’avais toujours inconsciemment évité de me retrouver face-à-face avec elle. Au cours de cette conversation, j’ai regardé ma mère pour la première fois depuis des années. J’ai vu dans ses yeux des peurs très profondes, des souffrances que mes paroles, mes mots, ne pouvaient pas atteindre, et j’ai ai pris conscience à ce moment-là que le cinéma était peut-être la clé. C’est là que le film a pris naissance. Trouver des textes à partir des images montées m’est venu naturellement, comme un nouveau souffle. Et réciproquement, les textes inspirés par les images me donnaient de nouvelles idées de prises de vues. J’ai donc continué à filmer pendant la phase d’écriture et durant le montage. Tout est venu spontanément. C’était pour moi un processus infini de remise en question et de mise à nu à travers le cinéma. J’avais l’impression de plonger dans un authentique dialogue avec moi-même et de nager longuement dans mes souvenirs, à la recherche d’une vérité crue, qui fait mal, mais qui est aussi salvatrice.
Les questions liées aux LGBTQI+ vous intéressent-elles particulièrement ou est-ce la réalité qui s’est simplement imposée à vous ?
Ce film est né de mon besoin de parler de ma réalité avec ma famille, comme une lettre adressée à ma mère. Je n’ai jamais pensé à aborder spécifiquement des questions sur les LGBTQ+. Peut-être parce que je suis moi-même dans le film, que les images sont trop proches de moi.
Qu’est-ce qui vous intéressait le plus, le sujet du « coming-out » devant les parents ou celui des secrets que l’on ne dévoile pas en dehors du cercle familial ?
Ce qui m’intéresse, ce sont les secrets que l’on ne dévoile pas au sein du cercle familial – le fait que l’on soit si proches et pourtant si éloignés les uns des autres.
Quel est votre court métrage de référence ?
Heaven Is Still Far Away de Ryusuke Hamaguchi.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
Une grande fête !
Pour voir Will You Look at Me, rendez-vous aux séances de la compétition labo L5.