Dîner avec Hors-jeu flagrant
Entretien avec Sami Tlili, réalisateur de Hors-jeu flagrant
Portez-vous un intérêt particulier pour le foot ? Quelle est la place de ce sport en Tunisie selon vous ?
Je suis à la fois un grand fan de foot et très critique envers les dérives du foot (le foot business, la récupération politique du foot et le fanatisme aussi bien des supporters que des acteurs majeurs de ce sport, pour ne citer que ces exemples-là). Je vais souvent au stade regarder mon équipe favorite mais je n’aime pas trop parler football et ça m’agace quand les débats autour du foot occupent le devant de la scène au détriment de sujets beaucoup plus importants et surtout beaucoup plus utiles. Le foot a été présent dans mon dernier documentaire Sur la transversale, mais dans Hors-jeu flagrant l’approche est différente. À l’instar des sociétés maghrébines, il y a une grande effervescence populaire autour du foot en Tunisie. Ça occupe la majorité des débats publics, et la majorité des programmes à la télé, à la radio etc. y sont consacrés. Le foot a été toujours instrumentalisé en Tunisie durant la période de la dictature et encore plus maintenant. C’est un facteur social et politique majeur dans notre société et c’est ce qui m’intéresse le plus en fait en tant que réalisateur. C’est un excellent moyen d’aborder les problématiques sociales et politiques. J’étais toujours fasciné par le pouvoir qu’il exerce sur les gens. Le foot révèle les contradictions au fond de chaque personne comme il peut réveiller en elle ce qui est de plus vile et de plus laid.
Comment s’est déroulé le casting ?
Durant l’écriture du scénario, je pensais déjà à Majd Mastoura pour le rôle du conducteur. Donc on peut dire que le rôle était vraiment écrit pour lui. Majd a un jeu très naturel et très minimaliste et c’est que je cherchais en fait. En plus, Majd est un ami et je sais pertinemment à quel point il ne comprend rien au foot. Quand je lui ai parlé du film il a tout de suite adhéré au projet. Pour les rôles des policiers, d’abord je voulais éviter les acteurs qu’on a trop vu dans ce rôle dans les productions audiovisuelles en Tunisie où vous avez tout le temps les mêmes acteurs qui jouent les rôles de flics. Ajoutons à cela le fait que ce film ne se repose pas sur la performance individuelle de chaque acteur mais plutôt sur l’interaction et la synergie entre le duo des policiers. C’est pour ça que pour les rôles des policiers, j’ai fait passer les essais caméras à des duo d’acteurs. À chaque fois on prenait deux acteurs et on leur demandait de jouer une scène du film. Quand j’ai fait passer l’essai caméra au duo Mohamed Hessine Grayaa et Bahri Rahali, qui sont des acteurs que j’admire, j’ai tout de suite compris que ça sera eux. Ils ont commencé à improviser, à entrer dans leurs rôles respectifs, et ça fonctionnait à merveille entre eux, à part le fait que toute l’équipe présente était pliée de rire. C’est primordial pour moi de bien m’entendre avec les acteurs avec qui je travaille. C’est très important qu’il y ait une bonne énergie et une bonne dynamique.
Votre film a beaucoup d’humour ! Est-ce un ton que vous privilégiez particulièrement ? Quels sortes de registres et de sujets aimez-vous explorer dans votre travail ?
Quand le sujet et le traitement s’y prêtent oui. Mais à condition que ce soit naturel et fluide. Je ne conçois pas l’humour comme un objectif en soi mais plutôt comme un outil du dispositif scénaristique et filmique. Je suis une personne très cynique, j’affronte toujours les problèmes de la vie avec beaucoup de sarcasme et d’autodérision. J’essaie de donner à mes films un peu de moi-même. De film en film et d’expérience en expérience on se libère, on se découvre en tant que réalisateur et du coup on ose plus et on expérimente plus. Sincèrement, je n’ai pas vraiment de sujets privilégiés, j’ai des réalisateurs, des écrivains, des musiciens privilégiés oui, j’ai mes influences et mes références oui, mais pour les sujets je fonctionne beaucoup avec l’affect. Si le sujet me tient à cœur et me touche je commence à explorer les pistes mais si le sujet ne me dit rien même s’il est très « tendance » je n’adhère pas. C’est peut-être aussi mon problème, je manque de « pragmatisme » sur ce point mais sincèrement je m’en fous.
Quelle est votre expérience de réalisateur en Tunisie ?
J’ai commencé à l’âge de 19-20 ans. Avec des ami-e-s on faisait des petits films qu’on tournait avec les caméras mini-DV et qu’on on montait avec les logiciels de montage qui commençaient à se démocratiser à cette époque. C’était une période complètement folle. On ne savait pas où nos rêves pourraient nous emmener mais on y allait à fond. On voulait toucher les étoiles mais on n’avait que nos rêves et notre insolence/insouciance. Après je suis parti en France pour poursuivre mes études. En 2011 j’ai réalisé mon premier film dans « le circuit professionnel », un documentaire de 78 min intitulé Maudit soit le phosphate et en 2019 un autre long métrage documentaire Sur la transversale. Les films ont eu des prix et ont eu des sorties commerciales dans les salles tunisiennes, ce qui est rare pour les documentaires en Tunisie.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
L’avenir du cinéma ne s’inscrit pas sans courts métrages, cela me parait évident. Autant je suis ravi par l’influence qu’est en train d’exercer l’art vidéo sur le court métrage et qui est réellement en train d’enrichir ce format, autant je suis un peu inquiet par l’influence que pourrait exercer les nouveaux formats de communication des réseaux sociaux sur le court métrage. Il y a une confusion entre les formats vulgarisés par les réseaux sociaux et le format court métrage à proprement parler avec ce que cela implique comme respect de la dramaturgie et du langage cinématographique.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Pour être honnête avec vous je ne supporte plus le reconfinement, je suis sûr que je suis loin d’être le seul dans ce cas de figure. Donc j’espère qu’il n’y aura plus de reconfinement. Si non, au début j’ai opté pour les films où j’ai organisé des séances de rattrapages pour les œuvres que j’ai raté en 2019 et 2018. Après j’ai opté pour la lecture et je pense que c’est ce qui me convient le plus. Donc essayez de lire au maximum mais pas sur vos tablettes et autres écrans. Le plaisir de tenir un bouquin entre les mains est inégalable.
Pour voir Hors-jeu flagrant, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I13.