Dernier verre avec Neko and Flies (Neko et les mouches)
Entretien avec Shih Han Tsao, réalisateur de Neko and Flies (Neko et les mouches)
Pourquoi avoir choisi ce titre ?
Quand je me suis rendu dans le port de pêche pour la première fois pour faire mes recherches pour le scénario, j’ai pensé au roman Sa Majesté des mouches. Probablement parce que le port possède ses propres règles sociales et que les interactions des marins sont codifiées. Leurs conflits sont également très directs et il y a souvent des bagarres voire des morts. Donc, tout naturellement, je me suis servi des mouches comme d’une métaphore de la cupidité humaine. L’odeur de poisson attire souvent des chats dans le port, et leur posture mystérieuse ressemble à celle de la prostituée. Les chats représentent la femme handicapée mentale et tous ses instincts sauvages. « Neko » signifie « chat » en japonais. J’ai utilisé le terme nippon car Taïwan était auparavant une colonie japonaise, et l’on retrouve de nombreux emprunts de cette langue dans notre vie quotidienne.
Que cherchiez-vous à explorer dans la relation entre Chuang et Neko ?
Chuang et Neko sont des personnages très typés et ils sont le reflet des membres de la classe inférieure qui vit près du port. Dans un univers aussi masculin qui exige beaucoup de force physique, un vieux gardien de port comme Chuang, et une prostituée handicapée mentale comme Neko, sont souvent victimes de harcèlement. J’ai voulu que ces deux personnages en marge se réconfortent et vivent une histoire d’amour ambiguë. D’autre part, comme je suis influencé par la philosophie zen, selon laquelle il ne faut pas juger si une personne est bonne ou mauvaise, il n’y a pas de personnage profondément mauvais dans Neko and Flies, seulement des personnes qui souffrent.
Connaissiez-vous bien ce port et la vie dans cette région ?
Afin de raconter cette histoire, j’ai passé deux ans à rassembler des informations et à réaliser des interviews des travailleurs du port. C’était loin d’être facile, surtout au début, car ils ne font pas confiance aux personnes venues de l’extérieur. J’ai passé beaucoup de temps à boire avec eux dans l’espoir d’intégrer leur cercle. Mais ils tiennent très bien l’alcool, donc je me suis souvent retrouvé ivre avant de m’effondrer sur les quais. J’ai gagné leur confiance petit à petit, ils ont partagé leurs histoires avec moi et m’ont proposé leur aide pour le tournage. Bien sûr, une minorité de personnes ne s’est pas montrée très accueillante, et on m’a menacé de me pousser dans l’eau. Heureusement, je peux aujourd’hui vous présenter mon court métrage et mon processus de création, je ne risque donc plus rien !
Comment s’est passé le casting ? Ce sont de vrais pêcheurs qui jouent le rôle des pêcheurs ?
Cinq des acteurs incarnant des pêcheurs étrangers sont de vrais pêcheurs. Les autres sont employés dans une usine. Il n’a pas été facile de trouver ceux qui allaient jouer les pêcheurs étrangers. Tout d’abord, nous avons dû avoir recours à des interprètes indonésiens et philippins. Ensuite, comme les dates d’arrivée et de départ des bateaux de pêche ne sont pas fixes, certains pêcheurs qui avaient accepté de jouer dans le film ont dû annuler parce que leur bateau partait quelques jours plus tard. Lorsque les bateaux étaient en mer, tout le processus restait flou. Mais en raison de la pandémie de COVID-19, les bateaux ont réduit leurs allers-retours, nous laissant davantage de temps avec les pêcheurs. Par la suite, tous les acteurs ont suivi deux semaines de préparation avant le début du tournage. Nous sommes restés amis une fois l’aventure terminée et continuons d’échanger.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je suis très optimiste à ce sujet. À Taïwan, les courts métrages sont souvent considérés comme un moyen de s’entraîner avant de tourner un long métrage. Si un court métrage rencontre le succès, il pourra être adapté en film. Mais ces dernières années, de plus en plus de réalisateurs de courts métrages passent outre les contraintes et tentent des formes de narration plus diversifiées. Cela permet de redonner ses lettres de noblesse au format court, pour qu’il apparaisse sous son meilleur jour aux yeux du monde entier. De plus, il y a selon moi de plus en plus de plateformes en lignes spécialisées dans la diffusion de courts métrages. Même si je suis de la vieille école et que je considère que les films doivent être vus dans des cinémas, je ne peux pas nier que les plateformes en ligne donnent la possibilité de diffuser de formidables films tombés dans l’oubli.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
J’ai appris que l’épidémie de COVID-19 en Europe et dans de nombreuses régions était très préoccupante. L’idée que des villes puissent être placées en confinement est difficile à imaginer pour nous, à Taïwan. Je garde d’excellents souvenirs de ma venue à Clermont-Ferrand en 2019. Je pense souvent à cette jolie ville très accueillante. J’espère que tout le monde est en bonne santé. Cette année, le festival de Clermont-Ferrand tombe une semaine avant le Nouvel An lunaire à Taïwan. Je suis prêt à préparer des couplets du printemps et des desserts du Nouvel An et à vous les envoyer depuis Taïwan pour que vous puissiez en profiter. J’y joindrai aussi des vidéos des rues de Taïwan, de plats ou de calligraphie pour partager notre culture et notre style de vie. J’espère aussi que cette période compliquée prendra bientôt fin et que le printemps apportera son lot de bonnes nouvelles.
Pour voir Neko and Flies (Neko et les mouches), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I10.