Dernier verre avec Sèt Lam
Entretien avec Vincent Fontano, réalisateur de Sèt Lam
Quelle est la place de la danse dans votre inspiration pour Sèt Lam ? À quel point l’action de danser était-elle importante pour vous ?
Pour Sèt Lam, la danse est au cœur du film car elle est l’instance qui soigne, qui fait communauté, qui prend en charge le deuil. Le « service Kabaré » est un espace très particulier pour les gens de l’île, la transe en est le point d’orgue. J’ai voulu parler de cette tradition sans pour autant la livrer. C’est le travail que j’ai entrepris avec les comédiens. Convoquer l’idée de la transe sans la travestir ou la donner en spectacle pour les besoins du film. Nous avons longtemps réfléchi avec la comédienne Nadjanie Bulin , qui est aussi chorégraphe, à comment symboliser sans rien révéler. Il a fallu créer un langage chorégraphique.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la thématique du deuil et envisagez-vous de réaliser d’autres films abordant cette question ?
La thématique du deuil est très intime pour moi, car j’ai écrit le film pour me consoler du départ de ma grand-mère qui était ma seule famille. J’ai voulu raconter à ma façon la manière dont elle m’a préparé à son départ. Je voulais aussi parler de l’effacement. L’histoire de mon île – qui est un territoire à l’histoire courte – a tendance à s’effacer au profit de la modernité, je pense que cela aura un impact. Forcément.
Comment avez-vous travaillé sur la musique ?
La musique du film a été un vrai challenge, je ne voulais pas de musique traditionnelle, car quand elles sont liées au service kabaré, elles font office de prière et sont sacrées. Le danger pour moi était de manquer de respect à cette pratique en m’appropriant des sons qui ne peuvent être chantés que dans certains espaces. Pour autant, j’avais besoin qu’on sente les pulsations tout au long du film. Nous avons donc décidé de donner notre interprétation de ces sonorités, avec le musicien Jako Maron, nous avons longtemps réfléchi à comment sonnerait notre « rond Maloya » si nous en étions les créateurs.
Le rapport à la parole, via la narration, a-t-il été amené par la volonté d’introduire le récit ou est-il un engagement artistique ?
C’est un vrai engagement artistique, ma langue se meurt et j’ai besoin de la faire dire, de la faire entendre, de laisser une trace. J’aimais aussi l’idée de revenir à la pratique forte du conte sur l’île. Une histoire dans l’histoire, écrire un mythe pour mon île, nous n’en avons pas. Sur l’île de la Réunion tout le monde est arrivé, soit par l’esclavage, soit par l’engagisme. Ce sont des histoires douloureuses qu’on ne peut aborder qu’avec difficulté. Il appartient donc à ma génération de créer des histoires à transmettre sur qui nous sommes. Du moins c’est ce que j’essaye de faire.
Quel est votre court métrage de référence ?
Il y a un court métrage qui m’a longtemps accompagné, c’est She Runs de Qiu Yang.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
C’est une opportunité incroyable. Depuis mon île, j’ai parfois la sensation de ne pas compter, de ne pas vraiment exister, de ne pas écrire l’histoire, que le monde tourne sans nous. Que nos histoires n’intéressent personne. Le festival donne la preuve que non, il offre une place à cette histoire singulière. Il offre aussi le possible d’un partage, d’un échange.
Pour voir Sèt Lam, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F11.