Lunch avec Au-delà des murs
Entretien avec Rémi Sogadji, réalisateur de Au-delà des murs
À quel point étiez-vous intéressé dans Au-delà des murs par la question des limites de ce dont on est capable de faire par amour ?
Un peu de contexte pour mieux répondre à la question : le scénario original a été écrit par Cristina Agresta dans le cadre d’un atelier d’écriture organisé par la Quinzaine en Actions. Les participantes devaient écrire un récit à partir d’un moment marquant de leur vie. J’ai ensuite rejoint le dispositif grâce à un partenariat avec la CinéFabrique – école dont je suis diplômé de la section scénario depuis 2020. J’ai choisi le scénario de Cristina car il m’a beaucoup touché. Nous avons continué le travail d’écriture ensemble, puis j’ai réalisé le film en court métrage. Il est vrai qu’après mes premières lectures du scénario, cette question m’intriguait : quelles sont les limites que l’on peut atteindre par amour ? Puis, en écoutant le récit de Cristina et ce qui l’animait, j’ai compris que le sujet du film était ailleurs : l’amour, c’est ce dont il était question des années auparavant. Ce dont il est question ici, c’est plutôt comment faire face à l’emprise, à la domination et aux violences perpétrées par son compagnon alors qu’il est physiquement enfermé dans un lieu loin du domicile. Comment le personnage va traiter avec le devoir qui existe en devenant femme de détenu. Le film parle de prise de conscience et de ce tout ce qui vient la freiner.
Envisagez-vous dans vos prochains films de donner à voir d’autres histoires au sein d’un environnement populaire ou ce quartier était-il spécifiquement lié à Au-delà des murs ?
Les énergies qui circulent dans les quartiers dits populaires m’attirent beaucoup et m’inspirent un certain nombre d’histoires que j’aimerais porter à l’avenir. Je pense que cela est lié à mon enfance. J’ai grandi dans une ville très cosmopolite au sein d’une famille de classe populaire qui au fur et à mesure de mon enfance s’est transformée en petite classe moyenne. Aujourd’hui, à travers les gens que j’ai la chance de rencontrer en portant ces histoires, je pense retrouver des regards, des voix et des dynamiques qui me rappellent celles croisées dans ma jeunesse et qui manquent encore beaucoup au cinéma français. Depuis des années il y a certes de plus en plus de films qui parlent de ces environnements, mais je crois que la route est encore longue et qu’il est important d’ouvrir les imaginaires. Que les personnes qui habitent ces quartiers ne se reconnaissent plus uniquement à travers des histoires qui parlent seulement des échecs, du côté négatif des quartiers mais qui abordent aussi leurs réussites, leurs désirs, des histoires qui ouvrent le champ des possibles. Je crois que l’on a besoin de récits aux prismes multiples qui parlent des quartiers et des environnements populaires à travers des drames bien sûr – c’est important et Au-delà des murs en fait partie – mais aussi des histoires d’amour, des comédies, des films fantastiques et d’autres qui mélangent un peu tous ces genres. Je termine actuellement le montage d’un court-métrage qui intègre de la comédie et qui a été tourné après un atelier cinéma dans un quartier populaire de Marseille. Le film raconte l’histoire de deux collègues qui, un été, profitent du départ en voyage de l’oncle de l’un d’eux pour, en secret, transformer son appartement en logement de vacances et gagner de l’argent. Je ne sais pas comment le film va être reçu mais c’était très enrichissant de le réaliser et stimulant pour les participants et participantes de se représenter autrement.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’absolu de la situation d’emprisonnement du père ?
Ce qui intéressait Cristina et moi ce n’était pas tant la situation d’emprisonnement du père, mais l’à côté. Celles et ceux dont l’existence est impactée sans vivre l’incarcération directement. Les compagnes avant tout (ou compagnons dans d’autres cas). Leur charge mentale est immense. Les parloirs ont souvent lieu deux à trois fois par semaines dans des prisons souvent loin du domicile. Beaucoup de fournitures sont à apporter et il y a tellement de choses à penser et à affronter, comme l’intimité au parloir. L’à côté, ce sont les enfants aussi, qui sont impactés par la distance et se retrouvent amenés à fréquenter l’univers hostile de la prison et des parloirs, même si cela n’est pas montré dans le film. Plusieurs femmes de détenus expliquent qu’elles ne sont pas derrière des barreaux mais pourtant elles se sentent aussi enfermées par toutes ces charges, devoirs et préoccupations. Une partie de ces femmes sont forcées à prendre de nombreux risques en y apportant des choses illégales et subissent des violences à l’intérieur même des parloirs, ce qu’on n’imaginerait pas forcément possible dans ce lieu si surveillé. En allant à la rencontre de Cristina, j’ai compris le poids de cette situation, et l’importance d’accompagner son histoire en film.
Avez-vous conçu Au-delà des murs en un tout ou avez-vous imaginé aussi un avant et/ou un après au film ?
Au-delà des murs a été imaginé comme un tout. Mais de la rencontre forte avec Cristina Agresta et de la naissance de ce binôme de travail est apparue l’envie partagée de continuer à écrire ensemble. Plusieurs choses nous attirent tous les deux, notamment mettre en lumière des parcours dans les quartiers qui sont encore trop souvent dans l’ombre. L’attrait pour les portraits de femmes et leurs luttes également. On écrit ensemble un long-métrage que je réaliserai par la suite. Il abordera des sujets en commun avec Au-delà des murs, mais se placera ailleurs. Il partira d’une femme qui essaye de se reconstruire des années après des violences et qui a donc comme point de départ la question de savoir comment l’on revient plutôt que l’enfermer dans comment on survit. Un film porteur d’espoir malgré la dureté de son sujet. Ce ne sera pas une suite mais un film à côté. On a décidé avec Cristina de ne pas partir de sa propre vie mais de plusieurs témoignages et inventions pour avoir plus de libertés. Je crois aussi que Cristina sentait qu’elle avait envie de passer une autre étape, et plonger dans la fiction.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Ton cœur au hasard, d’Aude-Léa Rapin, car il transpire de liberté, d’audace et de désir, à la fois dans sa mise en scène et dans sa façon de traiter ses personnages.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Je ne suis pas tout à fait au point sur la recette d’un bon film, mais aujourd’hui, ce qui m’attire particulièrement, ce sont les films qui permettent de mieux comprendre nos existences, qui s’intéressent aux vérités intimes des êtres, à leurs failles et aux mécanismes de nos sociétés. Des films qui mettent le travail du personnage, de l’actrice ou de l’acteur au centre de tout. C’est en cela que j’aime beaucoup les films de Cassavetes, d’Ozu ou de Sorrentino. Ils nous permettent de mieux comprendre la vie et ses difficultés.
Pour voir Au-delà des murs, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F8.