[Éditorial] Une compétition nationale 2018 foisonnante
La 40e compétition nationale, compétition originelle du festival du court métrage de Clermont-Ferrand, nous propose cette année 54 films. Même s’il est toujours difficile d’établir des tendances, les réalisateurs et producteurs ne se passant pas le mot pour répondre à une quelconque mouvance, on note toutefois quelques orientations.
Le court métrage français est ouvert sur l’international
Un système de production du court métrage français envié dans le monde entier, des initiatives encourageant la coproduction européenne et internationale comme Euro Connection à Clermont-Ferrand, des producteurs français – à l’instar du long métrage – attentifs aux cinéastes internationaux, des écoles de cinéma ouvertes aux réalisateurs étrangers, tout cela concourt à une sélection nationale ouverte sur le monde. Cette tendance se traduit par la présence de 13 coproductions avec l’international, dont 9 avec un pays européen, mais aussi avec l’Iran, le Liban ou la Turquie. Si ces chiffres sont la preuve de la volonté des producteurs de s’ouvrir à d’autres pays, ils traduisent également une volonté d’accueillir ces réalisateurs sur notre territoire afin d’enrichir notre terroir cinématographique de nouvelles inspirations et savoir-faire. C’est le cas avec Israeli Mor – animatrice israélienne installée en France après un cursus à La Poudrière -, Xiao Baer – étudiant chinois à La Fémis -, Ru Kuwahata, réalisatrice japonaise qui a fait son film avec le cinéaste américain Max Porter ou encore Yagiz Onur, réalisatrice turque dont le film a été tourné en Région Auvergne-Rhône-Alpes.
Le court métrage français a un fort rapport au réel
Documentaires ou fictions fortement innervées par le réel, les courts métrages français sont en prise active avec la société et le monde.
Emilien Cancet et Gustavo Almenara nous offrent trois magnifiques témoignages dans la jungle de Calais, recueillis dans l’intimité d’une session avec un coiffeur-barbier, où pudeur et résurgences s’entremêlent dans The Barber Shop. David Bouttin nous propose d’accompagner un homme dans sa volonté de trouver du travail et d’angoisser avec lui face à l’absurdité de sa condition dans Boomerang. Pierre Boulanger montre avec humour et tendresse dans Bye bye les puceaux les péripéties de deux adolescents d’une cité dont les préoccupations amoureuses vont à l’encontre des dogmes acquis et appliqués par leurs pairs. Clarisse Hahn, avec Mescaline, nous emmène au Mexique avec un couple de touristes dont la volonté initiale était de suivre les traces de Carlos Castaneda ou d’Antonin Artaud en quête du peyotl, cactus réputé pour ses propriétés psychotropes et hallucinogènes, mais dont les pérégrinations auront pour conséquence le bouleversement irrémédiable de l’équilibre d’une famille de villageois. Laura Haby avec My Eyes Are Gone nous plonge dans l’intimité d’un récit poignant et tragique brillamment mis en scène. Jean-Charles Paugam nous offre une immersion hasardeuse dans la Nuit debout plus éloignée des préoccupations politiques que pratiques. Un monde sans bêtes d’Adrien Lecouturier et Emma Benestan nous emmène en Camargue et dresse le portrait d’un adolescent qui va découvrir le travail et un certain apprentissage de la vie aux côtés de son oncle manadier, figure à la fois autoritaire et admirée. Stéphane Olijnyk nous entraîne dans les tréfonds des favelas de Rio de Janeiro à travers une incroyable parabole sociale et sensuelle qui brise frontalement plusieurs tabous de la société brésilienne, à savoir le racisme, l’homosexualité et la violence sociale dans Ursinho. Le réalisateur Edzard Roland, parti à la recherche de son acteur disparu depuis sa conversion à l’Islam, nous invite dans sa quête et ses retrouvailles sans jamais porter de jugement, mais laisse transparaître en toile de fond tout ce que peut véhiculer comme fantasmes et interrogations une telle métamorphose à l’heure actuelle. Enfin, Jules Follet dans Waterfountain nous plonge littéralement dans un dépôt de bilan qui tourne au cauchemar pour un chef d’entreprise victime de problèmes avec son comptable, ses fournisseurs, son personnel, les démarcheurs téléphoniques et sa fontaine à eau.
Les réalisateurs et producteurs s’approprient à nouveau le film de genre
C’est une des très bonnes nouvelles de la sélection nationale, le cinéma de genre revient en force avec quatre films de Just Philippot, William Laboury, Zoran et Ludovic Boukherma, Jean-Raymond Garcia et Anne-Marie Puga. Acide, Chose mentale, La naissance du monstre et Un peu après minuit nous permettent de renouer avec un plaisir non dissimulé avec le fantastique, l’étrange, l’épouvante, ou le giallo, chacun dans un style très différent.
Un beau retour de la comédie
Pour finir avec ce qui est sans doute le plus difficile au cinéma, faire rire, on note un beau retour de la comédie dans les films français proposés à la compétition nationale cette année, ce qui se ressent dans la sélection avec pas moins d’une dizaine de films.
Force est de constater une réelle envie des réalisateurs de se frotter à la comédie ou du moins à la légèreté, dénotant par ailleurs une terrible nécessité de rire, de faire rire et de se moquer, pour mieux se détacher. Et il y en a pour tous les goûts ! Outre Bye bye les puceaux, Nuit debout et Waterfountain, citons Cajou de Claude Le Pape, La nuit je mens de Aurélia Morali, Parades de Sarah Arnold, Pourquoi j’ai écrit la Bible de Alexandre Stieger, Le septième continent de Noé Debré ou Master of the Classe de Carine May et Hakim Zouhani, des comédies de grande qualité d’écriture, qui nous emmènent dans des univers faussement insouciants. On se délecte alors de pouvoir y côtoyer, pêle-mêle : un père complètement névrosé mais attachant, un date Tinder aussi improbable que touchant, une libertaire et un prescripteur de l’ordre qui n’étaient pas censés se rencontrer, un fils qui, non content d’être dépassé par le comportement de son original de père, va rencontrer Jésus-Christ, un enquêteur en pleine crise métaphysique navigant entre le monde de la finance et la fatalité écologique et un professeur des écoles vacataire au bord de la crise de nerfs en proie à de nombreuses difficultés.
La sélection nationale nous offre également des comédies délicieusement burlesques, dont le franco-belge Vitah de François Bierry est un bel exemple. Le film nous fait partager les joies et les peines des congrès d’entreprise où il s’agit de remobiliser ses employés dans un contexte inhabituel. Dans cette lignée, Panique au sénat d’Antonin Peretjatko pourrait très bien s’imposer comme la rencontre improbable entre Philippe de Broca et la Nouvelle Vague. Le réalisateur, de retour au court après le succès de ses longs métrages en salles, nous prouve une nouvelle fois que ce format n’est pas l’antichambre de sa version longue mais implique aussi ses prises de risques et une grande liberté dont nous ne cesserons jamais de saluer l’audace et que nous continuerons de défendre pour les quarante prochaines années, au moins !