Dîner avec Cui cui cui
Entretien avec Cécile Mille, réalisatrice de Cui cui cui
Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
Le désir d’enfant est une question qui m’a préoccupée pas mal d’années, et puis quand je m’en suis débarrassée, j’ai vu le souci chez les autres et je portais la culpabilité de ceux et celles qui ont réussi. La naissance de Cui cui cui vient de l’envie de confronter deux mouvements contraires : celui d’une femme dans un désir de maternité fort, mais en échec à répétition, avec larmes et désespoir. Et une autre femme, avec une empathie maladive, prête à tout pour annuler le désespoir de la première et lui trouver des spermatozoïdes à tout prix. J’avais envie de mêler le rire et le désespoir.
Tout ce qui touche à la fertilité ou à la procréation a tendance à être traité avec sérieux et lourdeur. Qu’est-ce qui vous a poussé à opter pour un mélange des genres, pour une pointe d’humour ?
Je suis plutôt sarcastique dans la vie. Je ne pourrais pas faire des films totalement sérieux. Mon plaisir, c’est de pouvoir travailler sur des formes qui provoquent le rire et font potentiellement réfléchir. J’ai longtemps snobé la comédie comme spectatrice, mais j’ai commencé à écrire du burlesque et je m’y suis mise. J’ai découvert que c’était tout aussi honorable que le drame. Et tellement jubilatoire. Si certains spectateurs rient de « ma » procréation amicalement assistée alors qu’ils y sont défavorables, ça peut faire évoluer leur vision, tout doucement. Je ne fais pas des films pour changer le monde. Mais ça a quand même du bon de faire rire et de militer discrètement.
Parlez-nous un peu du casting ?
Le choix du casting est un moment passionnant. Je souhaitais des comédiens avec qui je pouvais partager le même humour… et qui sont drôles dans la vie. Pour les deux personnages féminins, je cherchais à ce qu’elles ne se ressemblent pas, qu’elles soient dans deux énergies contradictoires. J’étais déjà très impressionnée par le travail de Pauline Lorillard et de Florence Janas, sans les connaître personnellement. J’ai provoqué une rencontre non formelle pour chacune, sans parler du projet, en présence de plusieurs personnes. Et je me suis marrée comme une baleine, j’étais séduite par les deux. Elles auraient pu toutes deux incarnées Sabine et puis… j’ai vu leur duo dans le court métrage de Jean-Baptiste Saurel Aquabike, et il fonctionne hyper bien. Elles se challengent, se nourrissent, s’entraident. Elles cumulent beaucoup de talent, se sont des techniciennes de haute voltige, avec une forte sensibilité. Et les deux ensembles, c’est rocambolesque. Elles partent en impro… et là, tu peux perdre la maîtrise du plateau tellement on se marre. Elles ont posé le ton du film. Je voulais un mélange entre réalisme et fantaisie personnelle. Elles l’ont permis. Les hommes ne sont pas en reste. Lazare Gousseau, je l’avais vu dans les films de Rachel Lang. Je l’aime beaucoup. Je cherchais un corps. J’aimais beaucoup son mélange de beau gosse maitre-nageur et de ringardise, avec sa coupe de cheveux et son costume… On a fait un essai avec Florence. Et l’alchimie a opéré. L’ornithologue devait être atypique. Je cherchais le petit truc étrange dans le corps aussi. J’espérais quelqu’un de très physique, un peu animal, qui puisse incarner la passion ornithologique par le corps. Finalement Niccolo Senni, c’est une version plus intello que physique. Mais c’est un artiste, un clown, il a une façon de se placer très précise, une mécanique du corps Tatiesque.
Quels sont vos sujets de prédilection en tant que cinéaste ?
J’essaie de comprendre et de travailler sur mes névroses à travers l’écriture de film. C’est tellement long le temps d’écriture qu’on a bien le temps de solutionner les plus grands égarements de notre vie… J’adore m’interroger sur la sexualité, les sentiments et plonger dans un monde vivant au sens large et politique. En gros, je virevolte autour du monde végétal et animal, avec des femmes et des hommes qui se désirent mais se prennent la tête pour savoir si leur choix sont justes. Et j’essaie de créer un monde qui me séduit plus que celui du quotidien. Moi ce que j’aime c’est faire l’amour dans les montagnes, regarder les animaux et frémir de désir. Et comme ma vie n’est pas tous les jours comme ça, mes films le sont. Enfin, j’essaie.
Quelles sont vos sources d’inspirations cinématographiques ou autres ?
J’ai envie de citer quelques films qui ont été des sources d’inspiration ces dernières années. Tous les premiers films d’Emmanuel Mouret qui semblent légers et anecdotiques mais qui sont profonds et magnifiquement orchestrés. Changement d’adresse, j’adore. C’est ma came. Puis, Les Naufragés de la D17 de Luc Moullet et Le Roi de l’évasion d’Alain Guiraudie. Pour leur liberté, leur fantaisie, leur plaisir à être dehors.
Quel est votre court métrage de référence ?
De référence, je ne sais pas. Mais j’ai souvent des coups de cœur. Pour rester dans l’humour, j’ai eu une vraie révélation quand j’ai découvert French Kiss d’Antonin Peretjatko. J’ai trouvé cela très ingénieux et libre. Ça donnait envie d’expérimenter. J’ai adoré Un monde sans femme de Guillaume Brac et pour être plus contemporaine, Herculanum d’Arthur Cahn.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
Une consécration ! Je suis très très heureuse que Cui cui cui soit sélectionné. J’espère que le festival sera un mélange d’aventures, de rencontres, de découverte de films, de fêtes et de randonnée en montagne. Et puis c’est la ville de la directrice photo du film, Emilie Monier. Plaisir supplémentaire !
Pour voir Cui cui cui, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F3.