Breakfast avec Écorchée
Entretien avec Joachim Hérissé, réalisateur de Écorchée
Que vouliez-vous explorer dans cette relation entre les deux femmes ? Qui ou qu’est-ce qui vous a inspiré ce rapport entre elles ?
Avec ce film, j’avais l’envie, le besoin, d’exprimer des sensations issues de cauchemars de fièvre que je faisais enfant et dans lesquels je pouvais ressentir mon corps passer d’un état creux à un état plein, de manière cyclique pendant toute la nuit. Eveillé, ces perceptions opposées de mon corps m’ont longtemps hanté et me questionnent toujours. Pour figurer ces deux états, j’ai écrit ces deux personnages que sont l‘Écorchée et la Bouffie, deux sœurs siamoises reliées par une jambe. Le film pose cette question : que se passerait-il si je me détachais d’un de ces deux corps ?
Pourquoi sont-elles dans cet environnement particulier ?
Puisque ma première inspiration venait de mes jeunes années, j’ai décidé de continuer à creuser dans mes peurs d’enfant. Ainsi, pour les décors, je me suis amusé à rassembler des éléments hétéroclites qui n’ont en commun que l’angoisse que je pouvais ressentir enfant en les voyant : vieux pavillon de banlieue des années 60, lit à baldaquin, armoire à glace art déco etc… Idem pour de nombreuses situations de l’histoire : le déculottage des lapins est, par exemple, directement inspiré de ma mamie qui enucléait les lapins, les déculottaient et faisait des chaussons avec leur fourrure. Ma plongée dans ces angoisses enfantine ont naturellement fait ressurgir mon tempérament mélancolique. J’ai donc construit mon film à l’équilibre entre ces deux états : anxiété et mélancolie.
Parlez-nous de votre technique d’animation. Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire au travers de cette technique ?
Il me fallait trouver un univers graphique assez fort pour pouvoir retrouver ces sensations issues de cauchemars. Après plusieurs essais infructueux, j’ai eu une révélation : la matière textile était le matériau idéal pour exprimer des sensations corporelles car la fibre du tissu me rappelait les fibres musculaires d’un corps écorché. En pianotant sur Internet les mots clés « textile » et « écorché », j’ai découvert le bœuf écorché textile de l’artiste plasticienne Aline Bordereau. Son univers m’a bouleversé. J’ai pris contact avec elle et lui ai proposé une collaboration. Aline a très vite compris mes intentions qui faisaient écho à son propre travail et elle a fabriqué les marionnettes originales du film.
Votre film mélange plusieurs genres et codes. Comment le décririez-vous ?
Écorchée est d’abord un conte, comme toutes les histoires que j’écris. Je suis fasciné par les originaux des textes des grands conteurs (Perrault, Grimm, Andersen), qui depuis ont été édulcorés par leurs adaptations. Ma fascination vient justement du fait que ces œuvres mélangent les genres (comédie, horreur, gore, romance, etc.). Dans la lignée de ces œuvres hybrides, j’aime beaucoup certains cinéastes coréens qui s’amusent eux aussi à mélanger les genres.
Qu’est-ce que vous souhaiteriez explorer par la suite en tant que réalisateur/animateur ?
Écorchée est très bien reçu par le public. C’est un vrai soulagement pour moi car le financement a été difficile. En commissions, le projet était clivant : enthousiasmant pour certains, trop cru et personnel pour d’autres, avec une portée universelle trop restreinte. Ce retour du public que la portée universelle de mon film est bien réelle et me conforte dans l’idée de continuer à exprimer mes sensations et émotions intimes. Je suis notamment en train d’écrire un projet de série d’anthologie horrifique intitulé DOLLS qui reprend l’univers visuel et les thématiques d’Ecorchée, notamment les angoisses liées aux corps. Ce projet est soutenu au développement par le CNC et par la Région Pays de la Loire.
Quel est votre court métrage de référence ?
J’aime le cinéma dans toutes ses facettes et tous ses genres mais j’ai surtout été inspiré dans mon écriture par le cinéma d’animation en volume slave et notamment par Garri Bardin (Konflict, Adagio, Fioritures), réalisateur russe qui a su magnifier de nombreux matériaux (fil de fer, objets, glaise, papier) dans l’écriture de ses films.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
C’est tout simplement le festival de court métrage le plus important au monde. C’est une reconnaissance incroyable pour mon travail d’auteur-réalisateur.
Pour voir Écorchée, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F12.