Goûter avec A Hidden Trail (Un sentier caché)
Entretien avec Hsuan Kang Tsai, réalisateur de A Hidden Trail [Un sentier caché]
Votre film est consacré aux travailleurs migrants qui transportent des troncs d’arbres dans la forêt. Avez-vous rassemblé beaucoup de témoignages et d’informations à ce sujet lors de votre préparation ?
Cette histoire est tirée d’un événement réel. Pendant l’écriture, je montais en parallèle un documentaire sur les décès des travailleurs immigrés à Taïwan ainsi que sur les abus qu’ils subissent, et je suis tombé sur cette histoire. J’ai regardé plusieurs vidéos et interviews évoquant l’accident, y compris celles de la famille de Đoàn et de son partenaire impliqué dans l’affaire. Elles ont été de grandes sources d’inspiration. Même si j’ai un peu adapté certains détails, le fond de l’histoire reste tout aussi mystérieux et triste. J’ai également interrogé plusieurs officiers de police qui traitent des affaires d’exploitations forestières illégales. Les opinions de ces différentes parties prenantes comptent parmi les éléments qui m’ont aidé à construire cette histoire.
Qu’avez-vous essayé d’explorer avec la rencontre entre Đoàn et l’homme qui tente de l’arrêter ?
Je voulais explorer les relations spirituelles intérieures au sein de différents groupes ethniques. Pendant mes recherches sur le terrain, j’ai découvert de nombreux liens intéressants entre ces personnes. Il y a une dizaine d’années, les groupes forestiers illégaux utilisaient les facteurs économiques comme argument pour attirer des Taïwanais et les employer, notamment parce qu’ils connaissaient parfaitement l’environnement montagneux et qu’ils y avaient grandi. Ces dernières années, la quasi-totalité des travailleurs de ces exploitations forestières ont été remplacés par des Vietnamiens, plus jeunes et en meilleure forme physique. La plupart sont originaires du nord et du centre du pays, car ils ont grandi dans un environnement similaire. D’autre part, les régions montagneuses revêtent aussi une signification toute particulière pour certaines populations indigènes. Il s’agit de leur territoire traditionnel et de leur ville natale, où leurs ancêtres ont toujours vécu. Bien que les époques soient différentes, ces deux groupes ethniques partagent des points communs, comme le fait qu’ils aient immigré pour le travail et rencontré les mêmes difficultés. En fin de compte, les éléments sur lesquels je souhaitais absolument me pencher étaient la géographie, la mémoire collective et les relations entre différents groupes ethniques. Dans mon court métrage, quand le jeune policier recherche Đoàn dans l’obscurité, je me plais à imaginer qu’il cherche aussi son propre double.
Quels enseignements avez-vous tirés de la réalisation de ce film ?
Personnellement, mes interactions avec les travailleurs migrants pour tenter de comprendre leur vie m’ont beaucoup ému. Avant de réaliser ce court métrage, la plupart de mes connaissances à leur sujet étaient tirées de rapports ou d’informations de seconde main. J’avais espéré que de vrais travailleurs migrants incarneraient les personnages vietnamiens, mais l’étape du casting s’est révélée assez complexe. Plusieurs d’entre eux ont refusé de participer au tournage, car ils ne voulaient pas écorcher l’image de leur pays. J’avais réussi à convaincre un travailleur de tourner dans le film, mais il a pris la fuite avant la première répétition. Heureusement, j’ai quand même rencontré plusieurs personnes très intéressées par les auditions. Ces expériences m’ont rapproché de la réalité, et j’ai compris que même en racontant l’histoire d’un groupe auquel vous êtes attaché, il reste toujours des expériences de vie uniques et des différences.
Quel élément essentiel espérez-vous que les spectateurs tirent de votre court métrage ?
Il m’est impossible de prévoir la réaction du public, mais j’espère que les spectateurs ressentiront certains moments de magie, qui les transporteront à un moment de leur vie. Ça serait fantastique.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
L’an dernier quand le train passait. Il s’agit d’un court métrage documentaire/expérimental d’un réalisateur taïwanais. Il a filmé des habitants et des paysages de campagnes de manière très chaleureuse. J’ai aimé la manière dont il a exploré la mémoire, le temps et leur contingence.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Personnellement, j’aime les films qui arrivent à me toucher de manière indescriptible à un moment ou à un autre. Ce n’est pas indispensable qu’ils soient précis du début à la fin : il peut s’agir d’un plan, d’un élément de montage ou de l’expression d’un personnage. Quand je ressens cet instant, j’ai le sentiment d’être intimement lié au film.
Pour voir A Hidden Trail [Un sentier caché], rendez-vous aux séances de la compétition internationale I9.