Lunch avec Bitume
Entretien avec Léo Blandino, réalisateur de Bitume
Comment vous est venue l’envie d’évoquer le métier de chauffeur routier ?
Mon coscénariste Thimothée Meyrieux-Drevet m’avait partagé ses recherches sur les routiers et sur l’évolution de leurs conditions de travail. Le sujet m’a tout de suite intéressé. Il fallait ensuite en tirer une thématique et une idée de cinéma. Pour cela, c’est surtout l’univers des autoroutes et des zones industrielles qui m’ont inspiré. Ce sont des espaces paradoxaux, ni zones naturelles ni réellement habitats humains, où les machines sont hégémoniques. Les camions en sont presque les animaux d’un biotope mécanique. Et les routiers sont ces humains solitaires qui s’y confrontent, comme les marins et la mer. C’est ce que j’ai trouvé saisissant dans ce métier, où dans une vie, on y roule plus qu’on y marche.
Comment s’est fait la rencontre avec Christophe Kourotchkine ?
Le choix de Christophe a été aussi simple qu’instinctif. Il n’y a pas eu de casting pour le rôle. La production a organisé une rencontre avec lui, pour parler du scénario. Dès que je l’ai vu bouger, parler, regarder, je n’ai plus eu aucun doute sur mon choix.
Étiez-vous davantage intéressé par le sentiment d’insignifiance ou par la question de la rupture avec les proches ?
Ces deux problématiques ne seraient-elles pas reliées ? Le sentiment d’insignifiance ne dépendrait-il pas du rapport que l’on entretient avec nos semblables et avec notre environnement ? Au-delà de la rupture, je crois que c’est la question du « lien » au monde et aux autres qui m’anime.
À quel point êtes-vous intéressé par la thématique de la migration « clandestine » ? Envisagez-vous de réaliser d’autres films sur cette question ?
Je ne sais pas d’où ça vient, mais c’est quelque chose qui revient souvent dans ce que j’écris. C’était déjà le cas dans mon précédent film, Z.A.R (2021), un film d’anticipation qui évoquait des migrations climatiques. Sincèrement, c’est inconscient. Je ne suis pas particulièrement militant mais j’ai honte. J’ai honte de savoir et de m’en accommoder si facilement parfois, et dans une certaine mesure, en tant qu’européen d’une certaine classe sociale, d’en profiter. Alors parce que j’ai honte, je témoigne de cette honte depuis l’endroit où je me trouve, c’est-à-dire depuis un appartement chauffé dans une métropole française où on peut commander de la nourriture souvent cuisinée et/ou livrée par des travailleurs émigrés (clandestins parfois) précaires qui ont vécu des choses que mon esprit et mon corps ne pourraient même pas concevoir.
Quel est votre court métrage de référence ?
Sans hésiter, Hotaru de William Laboury… Un film de science-fiction monté en grande partie avec des images d’archives. Pour moi c’est une merveille autant narrative que formelle. C’est un de mes films préférés, tout format de cinéma confondu. Je l’ai vu au moins dix fois. Je n’ai jamais rencontré son réalisateur néanmoins, pour le lui dire. Si ça devait arriver, je lui offrirai probablement une pinte de bière par amitié. J’ai aussi été très impressionné par Amour(s) de Mathilde Chavanne, que j’ai découvert à Clermont en 2020. À elle je le lui ai dit par contre. Je lui ai d’ailleurs offert une pinte.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
J’entends parler de ce festival depuis que j’ai l’âge de 14 ans. J’y suis ensuite souvent allé en spectateur mais c’est la première fois que j’y vais pour présenter un film en compétition. Alors bien sûr, c’est un peu symbolique pour moi. C’est aussi un festival où l’on peut voir un grand nombre de films, très différents et venant du monde entier, pour ensuite aller se disputer dans un bar avec ses ami.e.s cinéphiles autour de nos films préférés et détestés. Ce qui est, avec la truffade, l’une de mes activités favorites à Clermont. C’est une conception de la cinéphilie qui ne fait pas forcément l’unanimité, mais pour moi les dissensus critiques provoqués par le festival sont ce qui fait toute la vitalité du cinéma. J’espère sincèrement que des gens détesteront viscéralement mon film et se disputeront passionnément avec d’autres qui l’auront peut-être aimé.
Pour voir Bitume, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.