Breakfast avec Cumbres y cenizas (Sommets et cendres)
Entretien avec Fernando Criollo, réalisateur de Cumbres y cenizas (Sommets et cendres)
Pouvez-vous nous expliquer le choix de ce titre ?
Je m’intéressais à l’idée de porter sur les épaules le sens de la vie, au cours d’une ascension jusqu’à un endroit d’où l’on puisse se voir soi-même avec davantage de clarté et de recul. Métaphoriquement, répondre à l’appel des Apus, les esprits des montagnes, et affronter leurs projets. Alors qu’en même temps, les humains profanent ces espaces sacrés forgés par la nature depuis des millions d’années, conséquence de notre besoin de communiquer avec les divinités. En échange, nous nous délestons de parties de nous-mêmes, petit à petit, laissant derrière nous sang, larmes et feu. Nous réduisons la vie en cendres.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces rites ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous y intéresser ?
Ces rites ne sont pas le sujet du film en lui-même. Mon objectif n’est ni de les décrire, ni de les expliquer. Ce que je souhaite, c’est que l’image et le son nous permettent d’être témoins du rituel avant que soient invoqués nos ancêtres, ceux qui ont arpenté les mêmes lieux que nous, avant nous. Ce qui est intéressant là-dedans, c’est que, comme dans tout rituel, en particulier les rituels de sang, seule la personne qui fait le sacrifice est témoin de l’intégralité du rite ; elle se profane elle-même, et devient ainsi une énigme que tout le monde ne peut pas voir.
Pourquoi avoir fait le choix de mettre certaines séquences en noir et blanc ?
Le noir et blanc est, à mon sens, un contenant synesthésique. L’intensité de la lumière qui augmente, les mouvements qui s’expriment à travers les rythmes et les coupes du montage se mêlent et les transitions sonores qui implosent ; tous ces gestes sont chargés de souvenirs, certains plus insaisissables que d’autres, et nous permettent de choisir les éléments avec lesquelles nous voulons être en empathie. Je me plais à penser que le noir et blanc stimule notre faculté à compléter intuitivement les informations perçues avec quelque chose qui vient de nous ; tout le monde n’a pas connaissance de son instinct.
Pouvez-vous nous en dire davantage quant à votre choix de bande son, de musique, d’effets sonores, etc. ?
Oui, Prin m’a aidé à recueillir l’écrasante majorité des sons dans la rue, pendant qu’on marchait, pendant qu’on était témoins d’une situation ou qu’on se dirigeait vers un endroit en particulier, tout cela par hasard. À ce moment-là, je ne savais pas encore que cela allait faire partie de Cumbres y cenizas. Comme je l’ai déjà expliqué, ce qui m’intéressait, c’était l’idée du rite. Je l’ai expliqué à Diego, l’ingénieur du son, qui a suggéré l’idée de vivre l’état de transe à travers le son uniquement ; il avait en tête, en particulier, les silences, afin que la piste audio puisse avoir une vie propre, sans besoin d’image. Pour reprendre ses termes : « c’est une autre sorte de monde ».
Qu’avez-vous pensé de ce tournage, au milieu de tant de gens ? et dans cet environnement montagneux ?
J’ai toujours été très timide et il m’est assez difficile d’aborder les gens, c’est pourquoi je ne suis pas doué pour raconter des histoires, et j’ai toujours trouvé difficile de prendre en photo et encore plus de faire des captations de scènes qui impliquent des gens. Je trouve qu’il y a beaucoup d’informations dans la démarche d’aller quelque part et de parler de ce qui n’est pas connu, ou de ce qui n’a pas été vécu, comme si on devait se faire le porte-parole de tout cela auprès des autres. Cependant, en dehors du cœur, du centre animé, ou de ce qui est inconnu des autres, différents types d’instants émergent, où les gens, les espaces et la nature semblent demeurer en suspens, tout au bord du maelstrom de ce qui se passe ; ce sont des instants que j’ai recueillis avec le plus grand respect. Que l’on plonge ou que l’on grimpe à 5800 mètres au-dessus du niveau de la mer, cela ne devrait pas avoir d’importance, c’est anecdotique.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je ne sais pas. Étant donnés le chaos, la douleur et l’incertitude qui nous entourent, cela me paraît difficile et bien lointain d’y penser. Cela dit, au sein de ce qui reste de notre humanité, avant notre prochaine extinction, nous continuerons de créer, de crier, et de faire des erreurs ; je l’espère. Peut-être que cela se révèlera être l’acte de résistance le plus important qu’il nous soit donné de faire, sinon le dernier, que ce soit à travers des courts-métrages, à travers l’écriture dans nos langues maternelles, ou le partage de la nourriture et des graines que l’on fait pousser chacun dans son jardin. Ce qui compte, c’est que c’est par cet acte que la nouvelle humanité va se construire, c’est certain.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Ici, dans la majeure partie de l’hémisphère sud, on ne peut pas envisager de confinement. Et j’imagine que c’est le cas également dans certaines régions de l’hémisphère nord, et davantage encore à l’est. Au Pérou, principalement dû à la médiocrité du gouvernement, à nos gangsters politiques ainsi qu’aux médias, la plupart des gens sont obligés de travailler en dehors des chez eux, dans le secteur informel, sans droit du travail qui puisse leur assurer ne serait-ce que de rentrer chez eux en bonne santé. Cette question me paraît très abstraite parce qu’elle me demande d’imaginer que nous vivons tous dans les mêmes conditions, or ce n’est pas le cas. Si vous vous ennuyez chez vous, alors que vous avez de quoi manger et du chauffage, il n’y a pas grand chose à ajouter.
Pour voir Cumbres y cenizas (Sommets et cendres), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I14.