Breakfast avec Guillermina
Entretien avec Aida Esther Bueno Sarduy, réalisatrice de Guillermina
Qu’est-ce qui a inspiré le film Guillermina ?
Dès que j’ai entendu parler de Guillermina Dueñas, il y a six ans, j’ai su que je voulais en faire mon premier film. Je trouve que c’est une histoire magnifique, profonde, qui me permet d’aborder plusieurs aspects de la question du racisme, un sujet sur lequel je travaille depuis des années en tant que docteure en anthropologie et spécialiste des relations interethniques. Face à un thème aussi sensible que le pouvoir de destruction du racisme, j’ai décidé de faire découvrir au spectateur la beauté de ce lien entre un petit garçon blanc et sa nourrice, une femme noire du nom de Guillermina. L’histoire est racontée du point de vue de l’enfant, qui se remémore son enfance heureuse marquée par la présence de Guillermina, et finit par pousser son récit plus loin. J’ai utilisé la poésie de l’animation et le lyrisme de la photographie pour amener les spectateurs sur un terrain glissant, perturbant, où ils vont devoir se confronter à ce qu’ils vont voir et entendre.
La préparation a-t-elle nécessité beaucoup de recherches ?
La réalisation du film nous a pris deux ans. En ce qui concerne la recherche en amont, beaucoup d’images qui figurent dans le film m’étaient déjà familières. Dans mon travail de chercheuse et de professeure, j’ai souvent utilisé des images d’archives sur les femmes et l’esclavage, notamment à Pernambuco, au Brésil, aux XVIIIe et XIXe siècles. Cette connaissance préalable a été cruciale lors de la sélection des images qui allaient être intégrées au film. J’avais également confiance dans le potentiel des images animées et de ce qu’elle pouvaient m’apporter en termes de concrétisation des souvenirs de cet enfant. Au final, le défi a été de compter sur des professionnels qui soient prêts à travailler avec une réalisatrice débutante sur un projet d’une grande complexité.
Comment avez-vous choisi les photographies utilisées pour illustrer le thème et la situation ?
Mon intention était d’évoquer la mémoire de toutes ces femmes noires anonymes qui ont épuisé leur corps à allaiter et élever des enfants qui n’étaient pas les leurs, alors qu’elles rêvaient de liberté. De montrer, grâce à ces photographies préservées, le lien intime qui existait entre ces femmes et les enfants qu’elles nourrissaient de leur chair, qu’elles élevaient, et aussi de prouver que cette intimité et cet amour n’étaient pas reconnus. Mettre en valeur cette mémoire à travers l’histoire de Guillermina Dueñas à l’aide d’images d’archives de femmes noires s’étalant sur deux siècles était une des principales raisons d’être de ce film. En plus du choix de ces images, il était important de choisir à quel moment du film elles apparaîtraient – non seulement dans quel ordre, mais aussi pour quelle durée. C’était assez difficile : il y a des raisons qui expliquent que telle ou telle photographie apparaisse précisément à tel ou tel moment et non un autre.
Pourquoi est-il important d’aborder ce thème dans notre société actuelle ?
Il est important d’aborder ce thème à n’importe quelle époque, mais quand au XXIe siècle, on doit descendre dans la rue pour rappeler à l’État et à la société en général que les vies des Noirs comptent autant que les autres et exiger la fin des assassinats de femmes, d’hommes et d’enfants tués en raison de leur couleur de peau plus foncée, cela montre bien l’urgence et la pertinence de cette question. Le racisme est synonyme de violence et de mort. C’est un sujet très grave.
De quel avenir rêvez-vous pour Guillermina?
J’aimerais que le film soit projeté sur tous les continents, et pas seulement sur les festivals, ce qui est certes important, mais devant toutes sortes de publics en salle, en extérieur, et aussi dans les écoles et les universités. Je voudrais qu’il suscite des conversations sur l’urgence de construire un monde libéré des hiérarchies raciales. Et puis j’aimerais qu’un jour, Guillermina soit considéré comme relevant de « l’archéologie visuelle » d’un monde qui a existé mais qui, heureusement, a été vaincu.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je pense que le court métrage a un bel avenir devant lui. Dans un monde où les gens semblent perdre la capacité à se concentrer et avoir de moins en moins de temps, les courts métrages offrent de nombreuses possibilités.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
À mon avis, le cinéma et la lecture, rien de tel pour faire face aux restrictions actuelles et à celles qui nous attendent. Ils nous permettent d’affronter le confinement et la tristesse de ne pas pouvoir être avec les autres. Au final, nous sommes tous des créatures sociales.
Pour voir Guillermina, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I1.