Breakfast avec Le Départ
Entretien avec Saïd Hamich, réalisateur de Le Départ
Où avez-vous tourné et comment avez-vous fait votre casting ?
J’ai tourné dans la banlieue de Casablanca, dans un nouveau quartier de la classe moyenne très prisés des MRE (marocains résidents à l’étranger), dans la ville de Had Soualem. Ces terrains vagues, ces immeubles qui poussent au milieu de nulle part… Ces décors me paraissent très cinématographiques et ce milieu périurbain est un super terrain de jeu – et de fiction – pour des enfants. Il m’a aussi semblé intéressant de montrer un nouveau paysage du Maroc, très commun et connu des marocains mais peu représenté au cinéma. On lui préfère les bidonvilles, les médinas, etc. qui sont pour moi plus archétypaux et étaient bien moins justes, socialement, comme cadre à cette histoire. Le casting a été fait pendant les repérages. J’avais pré-repéré plusieurs banlieues de Casa et nous avons rencontré de nombreux enfants en fonction des lieux. Je voulais trouver une bande de copains qui se connaissent et soient à l’aise dans ces décors. La fin du casting s’est faite avec la chef opératrice, Marine Atlan. Ce fut très précieux et nous a mis d’emblée dans une dynamique de groupe, dans l’énergie du tournage. Comme souvent avec les enfants, il y a eu un déclic lorsque j’ai rencontré Ayman Rachdane qui joue le rôle d’Adil, tout simplement parce qu’il est d’une intelligence rare et saisissait immédiatement les indications de jeu. Il a compris très vite qu’il pouvait jouer en intériorisant, pour la caméra et non pour l’équipe, et qu’il devait en faire le moins possible. J’ai senti que je pouvais avoir sa confiance. Enfin, un mot sur Fatima Attif, une immense comédienne marocaine, qui joue le rôle de la mère. J’ai écrit en pensant à elle et j’ai eu la chance qu’elle accepte.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’âge du personnage principal, entre l’enfance et l’adolescence ?
J’avais écrit un personnage âgé de dix ans. Au départ, nous cherchions des enfants entre 9 et 13 ans pour composer la bande des copains. C’était fascinant de voir à quel point à cet âge, les choses changent très vite. Entre 9 ans et 11 ans, il y a un monde. Nous avons finalement restreint les recherches à des enfants de 10 à 11 ans. L’adolescence m’intéressait peu, ce n’était pas l’enjeu du film. C’est la fin de l’enfance que je voulais saisir. Pouvoir jouer avec les frontières de ce que peut comprendre ou pas, le personnage. Entre la lucidité très adulte de la voix off, et la figure de l’enfant qui a peur la nuit, il y avait la zone d’exploration du film, tout aussi émotionnelle que narrative. On joue avec ce qu’il sait ou ne sait pas, ce qu’il ressent, etc.
Qu’est-ce qui est venu en premier dans l’envie de faire le film, la question du déracinement ou celle du rapport mère-fils ?
Le film est né de cette image de fin où un enfant voit s’éloigner son pays. C’est le début de l’exil. C’était le point de départ du film. Je pense qu’il n’y pas plus grand déracinement pour un enfant que d’être séparé de sa mère. Il fallait montrer la force puis la perte de ce lien, qui constitue la matière du film.
Êtes-vous particulièrement intéressé par la thématique de la séparation familiale pour raisons économiques et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur ce thème ? Y aura-t-il un retour au Départ ?
Il y avait déjà un « retour » avant Le Départ puisque mon premier film s’appelait Retour à Bollène et racontait l’histoire d’un jeune français d’origine maghrébine qui revient dans sa famille dans une cité du sud-est de la France avec sa fiancée américaine, après avoir fait carrière à Abu Dhabi. Le sujet de la famille, de l’identité, m’intéresse donc beaucoup. Mon prochain projet porte aussi sur le thème de l’exil et couvre une période de dix ans dans la vie d’un jeune algérien, dans le Marseille des années 90.
Y a-t-il une part d’autobiographie dans ce film ?
Je n’aime pas le mot autobiographie car il a quelque chose de lourd, d’objectif. Et ce n’est pas du tout ma démarche. Je préfère me concentrer sur l’intime. Mais oui, il y a une part très personnelle dans cette histoire et parmi les évènements du film, quelques-uns sont autobiographiques. Je me suis inspiré de mon départ du Maroc à 11 ans et j’ai ensuite imaginé une histoire et qui me permettait d’aller plus vite et plus loin dans ce que je cherchais : explorer ce sentiment de déracinement, de l’exil qui advient.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je suis aussi producteur de courts métrages. J’ai d’ailleurs produit avec ma collègue Sophie Penson un autre film en compétition nationale à Clermont cette année, le très beau À propos de Lanzarote en général et de Michel Houellebecq en particulier de Vincent Tricon. Le court métrage est un espace d’expérimentation génial et libre. Dans ce sens il est indispensable au cinéma d’auteur. En France, nous avons une chance folle que ce secteur soir aidé et structuré professionnellement. Il faut continuer à défendre cet îlot de créativité et de liberté qu’est le court métrage en France.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Je vais être très original, je dirais d’en profiter pour lire et voir des films. Je me suis contraint à ne pas regarder toutes les séries et films récents et j’essaie donc de voir ou revoir des films plus anciens. Et je conseille vivement de donner leur chance et un peu de temps à ces classiques. J’ai eu la chance par exemple de voir récemment La Cérémonie de Chabrol et The Deer Hunter de Cimino. C’est incroyable !
Pour voir Le Départ, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F10.