Lunch avec The Bayview (Hôtel Bayview)
Entretien avec Daniel Cook, réalisateur de The Bayview (Hôtel Bayview)
Parlez-nous du Bayview. Comment avez-vous découvert ce lieu ? Est-ce une région que vous connaissez bien ?
Le Bayview se trouve en bordure de Macduff, un village de pêcheurs traditionnel, sur la côte nord-est de l’Écosse. Ces dernières années, la jeunesse locale se tourne plutôt vers des emplois moins risqués ; ils n’ont plus envie de travailler sur les navires de pêche. Les postes ont donc été pourvus grâce à une nouvelle population de travailleurs immigrés venant de l’Union Européenne, mais aussi, étonnamment, des travailleurs internationaux venant d’encore plus loin, des Philippines et du Ghana. Nombre de ces équipages en vient à loger chez Susie, au Bayview, où ils se sentent accueillis. Je suis tombé sur l’hôtel alors que je tournais un autre projet dans un village voisin. The Bayview est un grand bâtiment qui ressort dans le paysage, il était donc difficile de passer à côté. Un·e ami·e m’avait aussi dit que Susie, la propriétaire, était un « sacré personnage » à qui il fallait absolument que je parle. Le travail qu’elle faisait pour les pêcheurs, sa générosité et son altruisme m’ont donné envie de la rencontrer. Le Bayview était un hôtel à l’abandon que Susie et sa famille ont petit à petit transformé en foyer pour eux-mêmes et en lieu de repos pour les pêcheurs venus d’outre-mer. Quand je me suis rendu au Bayview, avant de toquer à sa porte, j’ai vu Susie à travers les fenêtres du bâtiment, assise dans son fauteuil à bascule. J’allais vite apprendre que c’était son fauteuil préféré pour se détendre et réfléchir en fin de journée.J’ai fait sa connaissance ce soir-là. Au détour de la conversation, j’ai mentionné que je tournais un film dans le coin. Susie m’a invité à loger dans l’une des chambres vacantes à l’étage où logent les pêcheurs, la prochaine fois que je serai de passage. Quelques mois plus tard, quand je suis revenu tourner là-haut, j’ai accepté son offre. Durant mon séjour, j’entendais toutes sortes d’accents et de langues dans les chambres de l’étage. Les pêcheurs allaient et venaient ; ils l’appelaient « Madame » ou « Mama Susie ». C’était finalement assez difficile de quitter l’hôtel tant il y avait d’histoires à entendre et de gens à rencontrer. J’ai vite compris que les vies de ces gens de passage au Bayview pourraient en intéresser d’autres, et c’est comme ça que l’idée d’en faire un documentaire est née.
Est-ce que tout le monde a été emballé à l’idée de participer à ce tournage? (Les pêcheurs, les propriétaires…)
Ça n’a pas été facile au début, mais une fois que j’ai appris à mieux connaître les résidents et su gagner leur confiance, c’était bon. Susie a beaucoup insisté pour que je mette les pêcheurs au centre du film, mais je savais que le bâtiment et Susie elle-même avaient quelque chose de vraiment authentique et intéressant à apporter d’un point de vue narratif. Avec le temps, en prenant des gants pour la persuader, Susie a fini par accepter. Ca valait le coup, car elle avait plein de superbes anecdotes à partager, mais elle n’aimait pas trop être filmée. Je savais qu’elle faisait partie intégrante de l’histoire à raconter, puisque c’était elle qui faisait le lien entre toutes ses identités. De même, plusieurs pêcheurs étaient un peu sur leurs gardes, mais en logeant à leur étage, au fil du temps, j’ai fini par me lier d’amitié avec certains d’entre eux et gagner leur confiance. Ce qui était super, c’était qu’il n’y avait pas de trajets à faire entre différents lieux de tournage dans la mesure où tout le monde se retrouvait au Bayview. Il fallait simplement que ma caméra soit prête à tourner à tout moment et que je voie qui allait passer à l’hôtel ce jour-là.
Comment vous y êtes-vous pris pour filmer les interactions et les dialogues ? Les avez-vous laissé faire tout en laissant tourner la caméra ?
C’est ça. J’avais à cœur d’éviter de faire trop d’entretiens directs. Pour moi, le film n’était pas une enquête, même s’il y avait énormément de matière pour ce genre de film, car je ne suis pas journaliste. Ça m’a beaucoup plu de laisser les gens discuter tranquillement devant la caméra. De temps en temps, j’intervenais dans la conversation, donc ce que j’ai filmé n’était pas toujours complètement spontané. C’était une manière intéressante de travailler : on n’est jamais trop sûr de ce qui va se passer.
Quel est votre parcours de documentariste ? Est-ce que cela vous intéresse de vous tourner vers la fiction ?
J’ai fait des études de Beaux-Arts et ne suis arrivé que tardivement dans le domaine du cinéma ; cela fait trois ou quatre ans seulement. Je tâtonne encore beaucoup dans le domaine. Avant ça, la majeure partie de ce que je faisais, c’était des installations pour des espaces d’exposition ou des commandes d’artistes. J’aimerais beaucoup développer des projets qui se situent quelque part entre le documentaire et la fiction. Je crois que ça me plairait bien de travailler dans cet entre-deux.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Neil Beloufa est un grand artiste et réalisateur. J’adore son court-métrage Kempinski (2007). C’est un documentaire de science-fiction ethnographique, d’après la description. Rien que ça, ça donne envie d’y jeter un œil.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Pas évident, comme question. J’aime les narrations un peu ambiguës dans les films, quelque chose qui déroute et qui donne à réfléchir pour le reste de la semaine, c’est bon signe, de mon point de vue. Le Temps des Gitans d’Emir Kusturica est génial de ce point de vue-là.
Pour voir The Bayview(Hôtel Bayview), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I13.