Goûter avec In Seiner Gnade (Dans sa miséricorde)
Entretien avec Christoph Büttner, réalisateur de In Seiner Gnade (Dans sa miséricorde)
Comment avez-vous eu connaissance de La Torture par l’espérance, ce conte particulièrement cruel d’Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, et qu’est-ce qui vous a incité à en faire une animation ?
En mars 2018, cela faisait déjà quatre mois que je coinçais sur l’écriture du scénario de mon film de fin d’études. Je commençais à me dire que la seule façon d’avancer serait de changer de sujet, et ma passion pour la littérature m’a fait tomber sur les œuvres de Villiers de L’Isle-Adam. Le genre fantastique, tel qu’on le connaît chez Poe, Lovecraft ou Hoffman, est un de ceux que j’aime le plus, mais je ne connaissais pas Villiers de l’Isle-Adam, je m’y suis donc mis. Par simple coïncidence, j’ai choisi La Torture par l’espérance parmi les autres Contes cruels pour me familiariser avec ses écrits, et cela a déterminé les trois années et demie suivantes de ma vie. J’ai été touché par les thèmes universels qui s’entremêlent, comme la peur, l’espoir, la pitié et l’oppression, et ça ne m’a pas surpris d’apprendre que cette histoire avait déjà été adaptée plusieurs fois dans l’histoire du cinéma. Mais, à mon avis, il manque quelque chose à ces adaptations en prises de vue réelles : le côté méchant, grimaçant de la nouvelle, et ce rendu n’est peut-être possible qu’à travers l’animation. Le lien s’est fait naturellement avec un autre sujet qui me fascine : tout ce qui concerne le système des goulags et la katorga, notamment tels qu’ils sont décrits par Soljenitsyne, Dostoïevski, et Melschin/Iakoubovitch. Le tableau que je m’en faisais collait parfaitement au style de graphisme que je voulais utiliser. En dernier lieu, non des moindres, le nombre réduit de personnages m’a rendu le travail d’animation plus facile.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre technique d’animation ?
Je suis venu à l’animation par la 3D, mais les étapes de rendu m’ont toujours un peu agacé, enquelque sorte. Ça pète, ça en jette, et ça demande beaucoup de savoir-faire. À mon avis l’animation analogique est bien plus indulgente, et son imprécision attise la curiosité. Croyez-le ou non, mais avant que le projet ne commence je n’avais aucun style particulier. Je trouvais mes dessins horribles et je n’étais pas sûr d’arriver à donner à mes idées la juste expression visuelle. Néanmoins d’autres artistes m’ont toujours impressionné, comme Regine Grube-Heinecke, une illustratrice de l’ex-RDA qui a produit de très belles gravures pour une édition du Michael Kohlhass d’Heinrich von Kleist. Chaque image y semble dominée par l’obscurité autour des portraits individuels, et les personnages eux-mêmes sont figurés par un ensemble réduit de traits. J’ai voulu adapter ça en 2D et au final, ça a donné quelque chose d’original. Je mentionnerai aussi l’influence des gravures sur bois de Karel Štěch, un illustrateur tchèque. Ma première tentative de rendu 3D n’était pas très convaincante. Au bout d’un moment j’ai eu recours à la rotoscopie sur les images dont j’avais réalisé le playblast avec le logiciel Maya avant d’aboutir à une animation 2D constituée de lignes blanches sans bavures. Pour escamoter l’aspect numérique de l’image, j’ai ensuite utilisé un programme d’effets spéciaux virtuels dont un brillant camarade de promotion a aidé à concevoir le prototype : ça m’a permis de simuler la dispersion de l’encre sur le papier, comme dans la gravure analogique.
Vous avez choisi le noir et blanc, pourquoi ?
L’utilisation d’encre noire dans le procédé de gravure en relief m’a semblé aller de soi. Il y a bien sûr de nombreuses autres techniques qui permettent de graver en utilisant toutes les couleurs, mais s’en tenir aux traits d’encre sur fond blanc représente une contrainte qui correspond au récit : ce que j’ai perçu de la tonalité et de l’atmosphère générale ne me laissait pas d’autre choix que le noir et blanc, car il n’y a plus de couleur dans ce monde d’humains pitoyables. De plus, ça m’a permis de former un espace ambigu autour du condamné, qui donne l’impression de prolonger le cadre du format 4/3 dominant la quasi-totalité du film. Je dois aussi avouer que je me sens un peu désemparé face à l’usage des couleurs. J’ai beau être conscient des grandes émotions que la couleur peut aider à exprimer, la forme et la composition m’importent bien plus. C’est peut-être pour cela que je me sens si attiré par les films en noir et blanc – et particulièrement les anciens.
In Seiner Gnade est votre film de fin d’études. De quels soutiens de l’Université du film de Babelsberg votre film a-t-il pu bénéficier, en production et post-production ?
J’ai bien sûr pu profiter des avantages généraux, comme la possibilité d’utiliser des stations de travail puissantes, équipées d’une variété de logiciels, et le soutien financier nécessaire à, par exemple, la rémunération du technicien son ou l’achat de matériel. L’étalonnage et le mastering DCP ont été faits sur place. L’enregistrement numérique, les bruitages, et le mixage final ont été réalisés dans les studios de l’Université par le concepteur sonore Lambert Regel, un élève du programme de master Sound for picture. En ce qui concerne le développement du projet, j’ai vraiment apprécié de pouvoir présenter les travaux en cours aux professeurs d’animation : là, on m’a toujours donné des indications intéressantes sur ce qui fonctionnait ou pas. Au-delà de ça, on obtient le soutien qu’on demande : par exemple, j’aurais pu demander de l’aide pour élaborer le style graphique uniquement en numérique, mais je voulais vraiment trouver une solution par moi-même.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Je suis complètement tombé amoureux de Pleasures of War de Ruth Lingford, dont le rythme trépidant et les effets très convaincants de gravure sur bois m’ont plu, bien que le mélange avec des prises de vue réelles m’ait semblé un peu bizarre. Ça m’évoque parfois le travail de Käthe Kollwitz et j’aimerais beaucoup parvenir à quelque chose d’aussi réussi.
Selon vous, qu’est ce qui fait un bon film ?
En tant que réalisateur j’aime à dire qu’un film, comme n’importe quelle œuvre d’art, est aussi bon que ce que le public en pense. Mais en tant que père de deux charmants enfants, mon avis diffère quelque peu : un bon film me tient en éveil jusqu’au générique de fin, après que ma femme et moi-même avons glorieusement bataillé à mettre les marmots au lit.
Pour voir In Seiner Gnade (Dans sa miséricorde), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I2.