Goûter avec Letters from Silivri (Lettres de Silivri)
Entretien avec Adrian Figueroa, réalisateur de Letters from Silivri (Lettres de Silivri)
Comment avez-vous appris l’incarcération d’Osman Kaval ? Connaissiez-vous son travail avant son arrestation ?
Je connaissais le travail d’Osman Kavala avant son arrestation. En 2014, j’ai participé à une création théâtrale sur le génocide arménien. Dans le cadre de nos recherches, nous nous sommes rendus en Anatolie. Osman Kavala et son ONG, Anadolu Kültür, faisaient partie du projet et nous ont aidés tout au long de cette aventure. En outre, ce voyage de recherches était mon premier voyage en Turquie. Depuis, je suis devenu un grand admirateur d’Osman Kavala. C’est un ambassadeur artistique : non content de soutenir des artistes turcs au niveau local, il porte également des partenariats internationaux entre la Turquie et l’Europe. Pour lui, l’art sert à renforcer la société civile. J’ai été choqué d’apprendre qu’il avait été arrêté.
Vous intéressez-vous à la question des prisonniers « politiques » et avez-vous d’autres projets allant dans ce sens ?
Jusqu’à présent, j’ai axé la plupart de mes projets sur toutes sortes de communautés que j’aime étudier à travers le cinéma ou le théâtre. Ces sept dernières années, j’ai mis en scène de nombreuses créations théâtrales dans les prisons berlinoises, et j’ai aussi réalisé un court métrage dans une prison allemande de haute sécurité. Le film montre huit hommes condamnés à de longues peines et propose une image décalée des détenus. Je travaille depuis longtemps au cœur de la justice pénale, car c’est un grand révélateur du pays dans lequel on vit. Dans ce cadre, je m’intéresse à l’idée du bien et du mal. La contradiction qui sous-tend ces concepts peut susciter des moments de véritable empathie et d’espoir.
Pourquoi avoir choisi le noir et blanc ? Dans quelle ville avez-vous tourné ?
Nous avons tourné le film dans un quartier d’Istanbul qui s’appelle Esenyurt. C’est un quartier marqué par la transformation urbaine et un fort embourgeoisement. En séparant la voix et l’image, le film souhaite amener le spectateur vers une écoute plus attentive des lettres écrites par Kavala en détention, tout en replaçant ses paroles dans le contexte d’une société civile. J’ai opté pour le noir et blanc pour que le film puisse s’appréhender comme un souvenir – souvenir qui suggère que si l’histoire ne se répète pas, elle rime souvent.
Comment avez-vous travaillé avec les figurants dans la séquence rotative et celle de la perte de repères ?
Ces images sont partiellement mises en scène. On y décrit la transformation urbaine, tandis que les paroles authentiques d’Osman Kavala racontent sa situation en prison. Ces deux éléments qui s’opposent créent une sorte de ritournelle qui invite à la réflexion. Certains figurants sont des habitants du quartier, d’autres sont des acteurs qui interprètent une chorégraphie. Je m’intéresse autant à la fiction qu’aux événements vécus et je m’inspire du moment où les frontières entre la vraie vie et la performance se brouillent. C’est par cette ambigüité que j’arrive à créer le moment authentique auquel j’aspire.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Raconter des histoires n’a jamais été aussi vital, aussi crucial, aussi difficile. Comment parler avec quelqu’un qui a des vues politiques opposées aux vôtres ? Je pense qu’il est possible de créer un environnement dans lequel des visions contraires puisse coexister. Les festivals peuvent servir à faire converger tout cela dans un système d’histoires partagées. Le court métrage permet une utilisation radicale d’un temps limité pour jouer avec de nouvelles façons de présenter un récit.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Si vous ne l’avez pas encore vue, regardez la série culte Sur écoute. Sous l’apparence d’un film policier du début des années 2000, la série aborde en fait la ville américaine et le vivre-ensemble. Elle parle de l’impact qu’ont les institutions sur les individus.
Pour voir Letters from Silivri (Lettres de Silivri), rendez-vous aux séances de la compétition labo L3.