Goûter avec Maalbeek
Entretien avec Ismaël Joffroy Chandoutis, réalisateur de Maalbeek
Avez-vous rencontré Sabine par hasard ou l’avez-vous volontairement démarchée suite à la médiatisation de son histoire d’amnésie ?
J’ai rencontré Sabine via l’association Life4Brussels car je cherchais à rencontrer des personnes qui avaient été touchées de près ou de loin par les attentats. Le matin du 22 mars, je devais prendre le métro à la même heure que celui qui a explosé. Par chance, j’ai annulé au dernier moment mon rendez-vous de 9h30.Mais les images médiatiques ont participé à mon état de sidération. Une sensation nouvelle pour moi et qui a duré. Je cherchais donc à m’en libérer, à transformer ces images que j’avais vues et qui traumatisent plus qu’elles n’informent. Je ne remets pas la faute sur les journalistes, c’est un système global qui n’a pas changé depuis le 11 septembre. Il est seulement exacerbé par l’info en continu. Une info vidée de sa substance, réduit à l’état de GIF et qui hypnotise jusqu’au moment où la violencede l’image, répétée, devient indélébile. À l’inverse, quand Sabine me contacte, c’est pour me proposer de discuter du vide, du rien, de cette image manquantequ’elle recherche et qui l’empêche de croire à ce qui lui est arrivé. Elle était en effet dans la rame qui a explosé mais suite au choc crânien qu’elle a subi, ses souvenirs ont été comme soufflés par l’explosion. Le film se situe quelque part dans cet espace intermédiaire entre mon trop plein d’images et son amnésie.
La voix off est-elle faite du témoignage réel ou avez-vous fait appel à une comédienne ?
Avec Sabine et la complicité de Perrine Prost, une amie scénariste, nous avons travaillé le texte au gré des entretiens, qui se sont étalés sur plusieurs années. La difficulté principale vient du fait que sa manière de raconter son histoire est plutôt floue et fragmentée. Il nous a fallu du temps pour éclaircir certains points sans pour autant dénaturer cette énonciation particulière. C’est donc un mélange de moments spontanés et de passages plus écrits. Il ne s’agissait pas de faire un texte parfait. C’est plutôt comme un dialecte. Tout marqueur de subjectivité participe à nous immerger dans l’univers de cette personne.
Combien de temps avez-vous passé à récupérer les vidéos disponibles puis à faire une sélection ? Comment avez-vous obtenu les images des caméras de vidéosurveillance ?
Les sources, souvent amateurs, ont été trouvées sur internet. Il m’a fallu en tout quatre ans pour éplucher l’ensemble des archives et faire cette sélection. Ça a été très long. Je me souviens même d’une photo que j’ai trouvée la dernière semaine de montage.
Comment avez-vous travaillé sur l’effet de pointillisme et d’effritement du souvenir ?
Pour élaborer l’esthétique du film, nous avons photographié les lieux emblématiques du récit de Sabine et nous les avons transformés en un nuage de points servant de coordonnées pour recréer l’espace en 3D. Plutôt que de reformer les textures en reliant les points entre eux, j’ai préféré laisser cet état brut, sous forme de points donc, pour mieux souligner l’éclatement du souvenir, réduit à ce nuage, qui pourrait s’apparenter à des cendres. Ainsi, les images du film portent en elles les stigmates de l’explosion.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je pense que par sa forme courte, le court métrage est plus que jamais dans l’ère du temps. Mais la diversité qu’il propose peine toujours à rejoindre le grand public, qui se rabat majoritairement vers la forme de court métrage dominante : la série.Je pense que le court métrage doit donc repenser sa circulation, surtout à l’ère du Covid. On doit maintenir absolument une circulation festival physique, peu importe que ce soit en dehors des salles. Le festival est une rencontre entre un public et des auteurs.Pourquoi pas aussi créer plus de projections itinérantes, sauvages, dans tous les lieux ouverts possibles ou sur des murs, sur le modèle du cinéma La Clef par exemple. N’oublions pas que c’est une expérience collective.L’art contemporain amène également un nouveau souffle à la forme courte. Je pense même que le renouvellement se situe dans l’intersection du cinéma et de l’art vidéo.Mais le court doit aussi être davantage présent en ligne, en accès direct, sur les réseaux sociaux, via des intégrations API intelligentes. Less (click) is more.La forme du teaser n’est aussi peut-être plus d’actualité pour aguicher. Dans certains cas, une performance, un stream autour de l’univers du film pourrait attirer plus. Le concept de séance unique à sièges limités, le temps limité pour voir l’œuvre, sont autant de stratégies d’accroche pour émerger de la masse. C’est en tout cas ce qui me donne envie de voir certains films plus que d’autres sur les réseaux. J’aime bien aussi l’idée de projeter son film dans des lieux virtuels, de ritualiser la projection. Je rêve d’une projection de Swatted dans le jeu Fortnite par exemple, qui est autant un jeu qu’un réseau social.Il y a en fait plein de moyens de sortir le public des plateformes GAFAMN et de l’amener vers un contenu élargi à une expérimentation artistique plus libre et moins calibrée. Je pense encore une fois au jeu vidéo et aux services streaming. Dans cette communauté, le spectateur est lui aussi souvent créateur de contenus audiovisuels ou textuels autour des œuvres elles-mêmes et cette dynamique créé à son tour de nouvelles formes… Le lien entre auteur et spectateur est très proche et il y a des synergies intéressantes, tant qu’elles restent non aliénantes.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Revoir les films avec Bacri pour sourire avec des larmes.Apprendre des nouvelles langues et les oublier aussitôt. Bonjour en kazakh s’écrit « Қайырлытаң! » (prononcer « kRralèotân-g »). Lire Un hiver à Wuhan pour relativiser. Jouer à Cyberpunk en low poly. Faire des pétanques illégales sous la neige et chanter des chants marins. Cuisiner, cuisiner et cuisiner. Mais surtout manger de la truffade.
Pour voir Maalbeek, rendez-vous aux séances de la compétition labo L4.