Breakfast avec Motvind (Vent contraire)
Entretien avec Jon Vatne, réalisateur de Motvind (Vent contraire)
J’ai lu que vous aviez écrit et tourné Motvind lors du premier confinement, au printemps 2020. Quel a été votre point de départ ? Était-ce essentiel pour vous de rester créatif pendant cette période ?
Oui. Avec Anna Lian, la scénariste du film, nous travaillions à l’époque ensemble sur un autre documentaire. Elle vous dira qu’elle vient seulement d’arriver dans l’industrie cinématographique, mais ne vous faites pas avoir, c’est une scénariste de grand talent. Bref, comme elle avait peu d’expérience, et que je fais ce métier depuis dix ans, je lui ai demandé sans trop y croire : « Comme il faut des années pour financer et tourner un film, est-ce que tu aurais une idée qu’on pourrait finaliser en seulement un jour ou deux ? » Elle m’a immédiatement dit que oui et m’a raconté cette idée qu’elle avait eue après avoir vu dans un journal une photo d’une femme manifestant contre la construction d’éoliennes en restant assise et tricotant en face d’un policier qui ne savait pas vraiment comment gérer cette situation. Et elle a ajouté : « Mais, dans ce film, ils ne vivent pas simplement dans la même petite communauté, ils sont mariés. » J’ai trouvé cela fantastique. Puis, la COVID-19 est arrivée. Les gens se sont fait renvoyer et personne ne savait ce que les mois suivants allaient nous réserver. Anna a écrit le scénario en quelques semaines, et comme plus rien ne nous obligeait à attendre, avec Vegard Dahle, notre producteur, nous avons commencé à prendre contact avec les personnes avec lesquelles nous voulions collaborer. Nous ne pouvions pas les rémunérer, mais personne ne s’en souciait. Chacun de nous voulait accomplir quelque chose qui avait du sens, au beau milieu de ces temps troublés. En fin de compte, toute cette expérience entreprise dès le début de la pandémie de COVID-19 nous a permis de nous créer de jolis souvenirs et de tisser des relations professionnelles qui déboucheront à coup sûr sur d’autres films.
Que cherchiez-vous à explorer dans la relation entre Birgit et son mari ?
Ce film parle du fait d’oser se battre pour ses convictions, à la fois dans la vie et en amour. Pour Birgit, qui est toujours amoureuse de son mari, il s’agit de quelque chose qui la trouble depuis longtemps, et d’un problème qu’elle doit surmonter afin de rester vraie vis-à-vis d’elle-même et de trouver un sens à cette période de sa vie. Ce sont deux personnes avec des traits de caractère différents, et comme de nombreux autres couples, cela peut fonctionner à la perfection pendant de longues années. Mais à cette étape de leur vie, alors qu’ils s’apprêtent à prendre leur retraite et que leurs enfants ont quitté le cocon familial, ils comprennent soudain à quel point tout les oppose. Ou du moins, Birgit s’en est rendu compte. Elle a la conviction qu’elle attend quelque chose de son mari, qu’il s’agisse d’un signe, d’un acte ou d’un mot, pour s’assurer que leur histoire ne touche pas à sa fin, qu’ils forment toujours une équipe, et que cela vaut encore la peine de se battre.
Le film repose presque entièrement sur ses deux acteurs. Avez-vous apprécié de pouvoir vous concentrer principalement sur la direction d’acteurs ?
C’était fantastique ! Le fait d’avoir seulement deux acteurs m’a permis de davantage me concentrer, de mieux les diriger eux et le reste de l’équipe. Auparavant, j’ai surtout réalisé des films documentaires, et c’était la première fois que je dirigeais des acteurs professionnels. Cette perspective m’a d’ailleurs toujours un peu intimidé, mais j’ai aussi lu que tous les réalisateurs partageaient cette peur, donc c’est rassurant quelque part. De toute façon, je n’ai pas beaucoup eu le temps de m’en préoccuper parce que le processus s’est déroulé à merveille et de manière naturelle : je me suis soudain retrouvé sur le plateau, devant les deux personnes les plus sympathiques que j’aie rencontrées. Ils m’ont en permanence aidé à faire le meilleur film possible, et ensemble nous avons essayé de définir qui était ce couple marié. C’était à la fois agréable, profond et amusant.
Avez-vous rencontré des difficultés pour tourner dans cet endroit très esthétique, mais battu par les vents ?
Oh oui ! Rien que le fait qu’il y fasse beaucoup plus froid que derrière les arbres nous a beaucoup surpris. Mais en Norvège, on dit qu’il n’y a pas de mauvais temps, seulement des vêtements non adaptés (et ça rime d’ailleurs en norvégien). Donc cela n’a pas vraiment été un problème. Le vent en lui-même ne nous a posé aucun souci, même si sur ce point, les équipes responsables du son risquent de me contredire. Ce sont les changements de météo, ou de saisons qui nous ont surtout posé problème. Le temps changeait sans cesse : on a eu droit au ciel couvert, au soleil, à la pluie, à la neige et à la grêle, puis à nouveau au soleil. Nous avions pour objectif de tourner sous les nuages, et depuis là où nous nous trouvions, nous pouvions voir ce qui nous arrivait dessus depuis la mer du Nord et compter les minutes qui nous en séparaient. Puis nous attendions cinq ou quinze minutes que les problèmes de raccord soient résolus pour reprendre. Parfois, je disais « Tant pis ! On tourne quand même. Si le temps évolue aussi rapidement maintenant, il le fera aussi dans le film. », en sachant que cela serait sans doute impossible à corriger en post-production. En fin de compte, cela n’a pas été trop compliqué pour nous parce que nous avions fait en sorte de tourner suffisamment de matière, même si le doute persistait.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Ce n’est vraiment pas mon fort d’établir des classements. De manière générale, j’adore regarder des films et j’apprécie différents genres, mais je pense que les classer, cela gâche tout. Si je devais en choisir un d’après mon humeur du moment, je dirais Skin de Guy Nattiv, sorti en 2018. Cela pourrait sembler étrange étant donné que je présente une comédie à l’occasion du festival, mais quand je m’essaye aux classements, ce sont les films les plus sombres qui occupent les premières places. Je n’oublierai jamais ce film.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Étant donné mon passé dans les documentaires, j’ai toujours entendu dire que l’histoire est l’élément le plus important lorsqu’on réalise un film. Je ne peux pas nier que c’est un élément crucial pour faire un bon film, mais plus que la narration, un bon film se résume avant tout à une expérience incroyable. La poésie du cinéma ! La scène intégrée au film sans que je comprenne pourquoi, mais dont je ne pourrais pas me passer. Le personnage que j’adore détester. Le travelling le plus incroyable associé à la meilleure bande-son jamais composée. Élégance, horreur, magnificence, complexité, étrangeté, ringardise, bêtise, pureté… Ce sont toutes les expériences qui font qu’à mes yeux le cinéma est l’expression artistique la plus puissante. Ce sont des expériences créées par des réalisateurs de génie, qui ont tenté ce que personne n’avait essayé avant eux. Ce genre d’expériences resteront gravées dans ma mémoire et dans mon cœur pour toujours. Ce sont elles qui font un bon film selon moi.
Pour voir Motvind (Vent contraire), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I9.