Dernier verre avec Ourse
Entretien avec Nicolas Birkenstock, réalisateur de Ourse
Comment avez-vous eu l’idée de traiter du somnambulisme ?
Je crois que ça a commencé par une image. Celle d’Armande Boulanger (la comédienne qui joue Ourse), errant aux abords de ruelles vides, d’un chemin de fer, d’une forêt de contes de fées. Je venais d’achever un tournage avec elle alors qu’elle n’avait que 15 ans et je trouvais qu’elle dégageait quelque chose d’irréel, de propice au rêve, à la magie. Ce film est né de l’envie de tourner avec elle. Je n’ai pas eu d’expérience intime avec le somnambulisme. Mais en faisant des recherches, je me suis aperçu que ce phénomène, bien qu’en partie expliqué par la science, gardait en lui une part de mystère. Dormir en marchant et partir dans une quête inconsciente, c’était un habit sur mesure pour Armande. Et puis il y avait tout ce folklore, ces légendes urbaines autour des somnambules, ces types qui partent dans leur voiture en pleine nuit ou tuent leur femme au couteau. Il y avait de quoi s’amuser.
Avez-vous un intérêt particulier pour la période de l’adolescence et la thématique de l’émancipation ?
J’ai souvent parlé d’enfance dans mes précédents films et aussi d’émancipation dans le contexte familial. Que vous suiviez le chemin tracé par vos proches ou décidiez de vous y opposer frontalement, vous faites toujours en fonction de ceux qui vous accompagnent durant l’enfance ; vos parents, biologiques ou adoptifs, grands-parents, frères et sœurs, et bien sûr ceux qui ont disparu comme dans le cas présent. Ourse est une adolescente qui cherche en effet à s’émanciper et le phénomène qui la touche effraie sa mère. Cette dernière lui fait prendre des cachets, lui met des grelots, l’enferme. Le film parle aussi de la peur naissante des parents à voir leur enfant quitter le giron familial, de la peur de les exposer à un grand danger.
Envisagez-vous de réaliser d’autres films avec des ados ?
Ce n’est pas un but en soi mais c’est toujours un plaisir. Pour ce film nous avons tourné avec une vingtaine d’adolescents dans un lycée normand. Ceux-ci dégageaient une énergie folle, ils étaient volontaires et comprenaient tout. Je ne pense pas avoir été aussi spontané au même âge. Et puis il y a eu la rencontre avec Éliès Bachta qui interprète Jordan, il avait 16 ans au moment du tournage et n’avait jamais joué devant une caméra. C’est un privilège énorme de voir quelqu’un devenir acteur et se déployer pour la première fois sur un écran.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la thématique du deuil ?
Ourse et sa mère traînent un deuil récent qui les empêche d’avancer. Le père a disparu il y a un an, du temps a passé, ce n’est plus vraiment l’instant où l’on pleure. Ce qui m’intéresse ici, c’est la façon dont ce deuil perturbe leur vie amoureuse à toutes les deux. Ourse est incapable d’aimer un jeune homme épris d’elle. Sa mère, quant à elle, a trouvé un amant mais le range dans un placard, elle vit cet amour dans un secret coupable. Leur détresse les éloigne chacune l’une de l’autre et les rapproche en même temps.
Avez-vous une affection personnelle pour les phénomènes cosmiques et les constellations ?
Sans avoir dépassé le niveau de mes cours de seconde sur la question, j’en reste comme tout le monde fasciné. Pour Ourse nous avons filmé une véritable éclipse de lune dans la nuit du 20 janvier 2019, près d’un an avant le vrai tournage. C’était une expérience assez intime. Je suis intéressé par ce que les astres ont à nous dire, non pas d’un point de vue paranormal comme le personnage de Jordan dans le film, mais dans leur façon de nous rappeler à l’ordre, de nous inciter à faire preuve d’humilité. C’est un peu comme observer un phénomène animalier aux jumelles, on se tait parce qu’il n’y a rien à dire. On regarde.
Pourquoi vouliez-vous que les personnages traversent par ailleurs une situation de souffre-douleurs, tourmentés par un camarade humiliateur ?
C’est une intrigue secondaire du film qui me plaisait. Les adolescents qui gravitent autour d’Ourse sont des adolescents ordinaires, sans histoire, et je ne voulais pas qu’il en soit autrement. Pourtant le personnage de Jordan, qui est précoce et donc plus jeune que le reste de la classe, un geek au physique singulier et à l’esprit décalé, vit une violence courante, a priori indolore, mais qui laisse forcément des blessures. Sans vouloir faire un film sur le harcèlement scolaire, c’est simplement là. Je commence à montrer le film et je m’aperçois – votre question le prouve – que cet aspect appelle davantage d’intérêt que je ne l’imaginais, en particulier de la part de spectateurs plus jeunes.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Fichtre. Je ne saurais le dire. Et je ne saurais d’ailleurs présager de l’avenir de quoi que ce soit. Beaucoup l’ont assez fait cette année. S’il faut répondre, j’ai le sentiment que le court métrage est peut-être plus à l’abri des enjeux contraignants du long. Pas de sortie nationale, un système de diffusion spécifique et de nombreuses alternatives. Je pense qu’il y aura toujours des festivals, des écrans – grands ou petits – pour diffuser les courts, des gens curieux pour aller les voir.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Lisez des romans d’évasion comme Le vagabond des étoiles de Jack London, idéal quand on est cloîtré chez soi, ou pourquoi pas les carnets de route de Sylvain Tesson comme Une très légère oscillation ou Sur les chemins noirs. Pour les plus masos je conseille Ravage de Barjavel, une dystopie aux prémonitions troublantes. Je conseille aussi Mum, une série anglaise irrésistible sur arte.tv. Et puis du cinéma évidemment, plein. Visitez d’autres plateformes que celle qu’il est inutile de nommer, il y a des tas d’autres belles choses à découvrir…
Pour voir Ourse, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F11.